[abonnement gratuit]

l'interviewé

Bernard Birsinger
8 rue de la gare
68540 Bollwiller
France

Bernard Birsinger (né le 15 janvier 1949 à Mulhouse)

Vit et travaille à Bollwiller en France
En 1975, il ouvre la première galerie photo privée de France en province : la galerie Nicéphore
Puis il devient boursier de la Fondation Nationale de la Photographie à Lyon
Il a participé à la Mission photographique de la DATAR

Formation
Richard Avedon (Famous Photographers School, New York)
 Irving Penn (Famous Photographers School, New York)
 Lee Friedlander (masterclasse, Galerie Zabriskie, Paris)
 Lewis Baltz (masterclasse, Zürich)

Expositions
Photokina à Cologne 1972, 1974, 1976
Art Basel, Bâle, 1979
Musée de l’Elysée, Lausanne 1989
Musée Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saône, 1991
Musée Ruhrlandmuseum à Essen (1994)
Projet August Sander, 60 ans après, die Saar : Institut Culturel d’Essen, Saarbrücken et Mainz
Projet August Sander, 60 ans après, die Mosel : Cité du livre, Aix-en-Provence (1993)
Exposition Bernard Birsinger / August Sander en même temps que Wols
Projet l’Industrie en Ruhr et Lorraine : Galerie Robert Doisneau (1994)
avec la participation d'Andreas Gursky
Biennale Internationale de l’Image de Nancy (1997)
en même temps que Robert Adams (photographe)
Bernd et Hilla Becher et Thomas Struth
Exposition Le Rhin (juin 2004)
avec la participation d'Henri Cartier-Bresson
Le Musée d'art contemporain Fernet Branca
Re-projet de la Mission photographique de la DATAR, 20 ans après
4 communes (octobre 2007)
Musée d’Art Contemporain de Barcelone (MACBA), novembre 2008
en même temps que Robert Adams (photographe), Eugène Atget, Walker Evans, Helen Levitt, August Sander, Paul Strand...
Musée Berardo à Lisbonne, mars 2009, en même temps que Robert Frank (photographe), Dorothea Lange, Ed Ruscha...
Gustave Courbet, son Pays et la Datar revisitée (2005-2010), à La Filature (Mulhouse), Scène Nationale, septembre 2010.

Bibliographie
1989 : Datar, éditions Hazan Mission photographique de la DATAR
Paysages en phototypie (direction artistique Pierre de Fenoyl)
1994 : Vis à Vis, commande avec la participation d’Andreas Gursky, Ruhrlandmuseum Essen
1994 : L’Oeil Complice, 25 préfaces sur la photo
1983-1993 de Patrick Roegiers (Journal Le Monde), éditions Marval.

Tél.03 89 48 16 14
bbb8(at)wanadoo.fr

 

 

  Merci à Georges Laloire
pour sa relecture bienveillante

Bibliographie sur Avedon


Richard Avedon - Darkness and Light
Richard Avedon - Darkness and Light DVD - [Import USA Zone 1]


Richard Avedon - Portraits 
Maria Morris Hambourg (Auteur), Richard Avedon (Photographies)


Richard Avedon : Photographs 1946-2004  


Richard Avedon: Portraits of Power 
Paul Roth, Renata Adler, Paul Greenhalgh


Richard Avedon Autobiography 



Woman in the mirror 



In the American West 
Laura Wilson, Richard Avedon 
 


The Kennedys : portrait of a family 
Shannon Thomas Perich


Avedon Fashion 1994-2000 
 

 

 

Souvenirs sur Avedon

par Bernard Birsinger
 

Bernard Birsinger,
vous avez suivi les cours d’Avedon combien de temps ?

Dès 1994, Richard Avedon avait en préparation un livre technique photo sur sa propre technique qui devait sortir en 1996. Quelques années après la mort l’a surpris en pleine campagne photographique sur le challenger malheureux du Président Bush et le projet de livre technique n’a pas abouti.

Richard Avedon avec Irving Penn et 8 autres photographes dont Philippe Halsman (qui avait fait plus de 100 couvertures de LIFE Magazine, un record pour le magazine de référence à cette époque) avaient lancé en 1964 des cours (en français et en anglais) qui s’étalaient sur 12 mois. Pour moi cela s’est déroulé entre les années 1966 et 1969 : c’est tellement loin que je ne me rappelle plus la date exacte. Avedon s’était positionné principalement sur la mode avec un léger débordement dans le portrait ; l’élève communiquait ses propres travaux par la poste, et les photographies revenaient par la même voie avec des corrections et des remarques, après un certain délai. La période Avedon représentait un mois du stage. Irving Penn s’occupait de tout ce qui concerne la nature morte.

Que vous reste-t-il de ses conseils techniques ?

Des cours « Richard Avedon » que j’ai suivis en 1969, je n’ai retenu que les choses suivantes :
a) il faut photographier à chaque moment de la journée, même sans appareil photo, pour entraîner son œil.
b) Il faut être sa propre « Fondation », c'est-à-dire ne pas se soumettre aux injonctions artistiques d’autrui.
c) Il faut faire simple, et c’est très compliqué. Eclairer une personne avec une seule lumière (du tungstène à cette époque) exige une grande maîtrise : angle, ombre portée, rapport fond-sujet… placer simplement une personne sur un fond blanc, comme dans le projet in the American West, nécessite un vrai apprentissage de la lumière. 

Quel matériel utilisait Avedon ?

Contrairement à ce que l’on a écrit à travers la planète, son studio ne regorgeait pas de matériel dernier cri : par exemple il avait une Sinar Norma et pas de P2, de l’Elinchrom et pas de Broncolor, des vieux pieds Gitzo, du Blad 500 CM et des Rollei bi-objectifs. Il faut quand même comprendre qu’un très grand photographe, c’est un œil avant tout. Mais cet œil a compris (celui de Diane Arbus, de Richard Avedon ou d’August Sander) qu’il y a un rapport à tenir au sujet. On n’est pas là dans une photographie publicitaire !

Tentons une liste : en 1964 Avedon utilisait :

- 4 Rolleiflex avec 2,8 de 80mm et 3,5 de 75mm
- Un Hasselblad C avec un f4 de 150mm
- Une chambre Deardorff 8x10 avec un 6,3 / 12 inch

Il ajouta plus tard 1 Nikon F (appareil mythique de la marque), puis une Sinar 8x10 Norma (jamais de P2) qu’il garda sa vie durant.

A la Deardorff il ajouta également 2 optiques de focale identique (360mm), une de chez Fuji et l’autre de Schneider, le tout monté sur un de ses nombreux pieds Gitzo n°5.

Pour son travail en Inde au printemps 1998, il s’acheta une Wisner Technical Field Camera. Il écrivait en août 1998 : « I found the Wisner Technical Field Camera to have all of the perfection of the Deardorff with none of the inconvenience »

En 1964 il éclairait de 2 manières :

- Soit avec un unique flood de 1500 watts (voir photographie ci-dessous avec son gros flood).



- Soit avec la manière « window », lumière venant par une fenêtre au nord, éclairage plat mais parfois recréé avec un flash en indirect (selon ce schéma de cours fourni avec les cours de 1964)

Je me permets d’insister sur deux points :

Ce n’était pas une course effrénée vers la nouveauté. Avedon avait bien compris que la photo réside dans l’acuité du regard du photographe.

Le côté rustique du matériel (fiable, simple à manier, solide et pratique) doit amener le photographe à se débarrasser de tout le côté technique pour concentrer son regard sur le sujet.

 

Photographier comme Avedon une personne isolée sur un fond blanc, est-ce simple ? Dans quel état d’esprit était Avedon au moment de photographier ?

Ce n’est pas si simple que cela de photographier quelqu’un sur un simple fond blanc : il faut placer la personne dans l’espace, déterminer où on va couper… au genou, à la ceinture, ou choisir de rester de pied.

A ce stade un d������poli 20x25 est primordial et peut influencer la photographie d’une façon déterminante :

En 24x36, l’œil est rivé à l’oculaire de visée. On focalise vite sans prendre en compte la totalité de l’espace. L’appareil photo est un trou de serrure et on est au royaume du voyeur.

En 6x7, on voit déjà mieux.

En 4x5 cela s’améliore encore, mais l’œil est encore trop près du dépoli : le va-et-vient du regard entre le sujet et le dépoli est à la peine : il reste fastidieux et peu instinctif.

En 20x25, on peut regarder à la fois le dépoli à une certaine distance et le sujet de façon idéale. Cette « certaine distance » est celle de la réflexion permise par le va-et-vient du regard, du jugement instinctif du photographe, du balancement dans sa tête du pour et du contre : celle du choix définitif du cadrage en une fraction de seconde. La mise en place s’affine réellement et on peut caler vraiment le sujet dans l’espace.

A ce stade de la prise de vue, le photographe devrait déléguer toutes les interventions techniques : mise au point précise avec une loupe sur les cils du sujet, fermeture de l’obturateur, armement, mesure de la lumière, réglage du diaphragme, dépoussiérage et mise en place du châssis, extraction du volet, puis inversion et reprise du processus pour la vue suivante. Il faut également noter l’adresse des personnes portraiturées, faire signer la décharge pour l’utilisation potentielle future (livre, exposition dans un musée…). Donc sans deux assistants, guère de salut. Pour le grand projet de Richard Avedon « In the American West », 2 assistants manœuvraient la deardorff 20x25. Cela permettrait au photographe de « rester présent » auprès du sujet. Important sinon décisif ! La charmante photographe américaine Laura Wilson était à l’écriture et à la coordination ce qui ne gâtait rien.

Financièrement, « faire de l’Avedon » aujourd’hui en réalisant une série comme il a pu le faire entièrement en 20x25 représenterait quel investissement ?

J’ai été un des photographes de la mission DATAR. J’ai vu ce que peut être un grand engagement culturel de l’Etat.

Je me souviens de la question que m’avait posée Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de la Défense, à un de mes vernissages : « que vous faut-il financièrement pour faire un grand projet photographique ? ». Je lui ai répondu : « c’est très simple, même extrêmement simple, Monsieur le Ministre : achetez un missile en moins chaque année et vous aurez chaque année un grand projet culturel en plus pour la photographie ! ».

Si je devais rencontrer François Pinault, je lui dirais d’acheter un Jeff Koons de moins (rien que cet acte là serait déjà culturel), et qu’il pourrait financer de la sorte un grand projet en photographie.

En écoutant à plusieurs reprises notre Ministre de la Culture Frédéric Miterrand en Arles, j’ai bien compris que l’intérêt est en train de s’effondrer du côté de l’Etat : aucune perspective culturelle en photographie. Frédéric Miterrand est un amoureux des livres. Il n’y a pas d’intérêt pour la photo. On ne peut donc plus penser à réaliser un projet aussi important que celui de l’ouest américain.

Essayons de le quantifier :

Du point de vue de la technique pure, c’est un projet en format Film 20x25. Avedon a utilisé une chambre photographique Deardorff 8x10, du plan-Film Tri-X 4164 TXT exposé à 200 ASA, développé dans du D-76 en cuve profonde à 15 minutes. On notera au passage que pour ses Rollei, il utilisait la version amateur du Tri-X poussé à 400 ASA. Les optiques utilisées au cours du projet American West sont : un Symmar-S Schneider 6,8 / 360 mm et un Fujinon-W lens 6,3 / 360 mm.

Du point de vue financier, un tel projet aujourd’hui coûterait rien qu’en film 20x25 une somme voisine de 100 000 Euros.

Essayons d’affiner l’évaluation. Combien pourrait coûter un projet semblable à une même dimension géographique donc sur l’Europe ou encore plus simplement en France avec des prix français ? (estimation 2008 – ce texte est repris d’une communication de 2008 sur le forum de galerie-photo) 
Déjà avant de considérer un coût, il est préférable d’aborder en premier le travail fourni par Richard Avedon pour son projet dans l’Ouest des U.S.A.
Voilà les chiffres du projet et en conséquence du travail fourni :
De 1979 à 1984, Avedon travailla :
- sur 13 Etats
- dans 189 villes ou bourgades, du Texas à l’Idaho
- 752 sessions de travail
Avedon  a exposé 17 000 plan-films 8x10 (et je vous épargne les petits Polaroids).

Est-ce beaucoup ?  Très vite reprenez vos calculettes et vous en conclurez que c’est peu par personne photographiée ou session (22,6 plan-films) mais avouez beaucoup par la somme de travail fournie : Avedon est un opiniâtre.

Si aujourd’hui le photographe que vous êtes travaille en hors taxes, avec un stock de plan-films  acheté deux ans en arrière, passé avec astuce de Suisse en France pour gratter le prix et développe lui-même ces mêmes plan-films le soir venu dans son propre labo, il est évident que le prix global pour un projet semblable sera bien plus bas que 100 000 Euros.

Est-ce bien la réalité d’« In the American West » sachant que le studio d’Avedon se situait dans New-York et que le photographe travaillait à l’autre bout de l’Amérique ? Personne sur son studio itinérant ne revenait le soir venu sur New-York pour développer les plan-films !

Autre paramètre : si comme Avedon vous tenez à la qualité maximale, vous avez un bon labo en Europe pour la couleur : Grieger à Düsseldorf en Allemagne. Le coût de votre projet risque de passer d’un facteur 1 à 4. Je ne fréquente pas ce labo, ma surface financière n’est pas celle d’Andreas Gursky. Mais pour notre évaluation restons je vous prie dans le standard de qualité d’Avedon, c’est de ce standard que nous parlons.

Notez bien en outre que les plan-films Noir et Blanc 8x10 sont désormais  commercialisés par 10 dans une boîte ! On passera bientôt chez Hermès à Paris pour les acheter et ils nous serons servis sur un plateau d’argent !

Comment voyez-vous l’avenir de la chambre

Il y a de l’espoir : je pense que cela pourrait être plus proche que je ne l’imaginais… la technologie risque bien de contourner l’obstacle de l’argent en ce qui concerne le coût de travail en 20x25. En photographie une grande mutation s’annonce. Je pense que l’appareil photographique tel qu’on l’a connu dans sa version classique disparaîtra en version Professionnelle. Déjà Nikon devrait ouvrir le bal d’ici quelques mois, peut-être à la Photokina de 2010 (qui sait ?)

Voilà comment sera notre appareil photo pour travailler en 20x25 version Pro :
A. Un « tube optique » stabilisé
B. Un capteur numérique haute définition et sa puissante électronique embarquée, le tout manié par une télécommande ergonomique (ou A+B en un seul bloc)
C. Un fil reliant A et B à D
D. Une tablette-écran amovible de format 20x25 qui servira de viseur (fini le miroir et les viseurs exigus). Bien sûr il faudra travailler la haute définition pour cette tablette et prévoir son autonomie.

Nota : Les ingénieurs et concepteurs de chez Hasselblad-Suède qui devaient, lors de leur passage en Alsace, venir étudier en une heure cette mutation future sont restés 2 journées entières…

Quelques réflexions et souvenirs à propos d’Avedon (source : forum galerie-photo – interventions de Bernard Birsinger)

Avedon et les expositions

Les deux premières expositions Avedon en France ont eu lieu en été 2008 à Paris et en Arles.

Richard Avedon vivant n’aurait jamais accepté cela. Il m’a confié (lors des 2 journées passées avec lui dans une scierie désaffectée, en Suisse) qu’il ne voulait pas être exposé dans des lieux uniquement dédiés à la photographie en France particulièrement. Il considérait la France comme une Patrie pour la Culture. Il voulait exposer dans un lieu où les Arts se mélangent (peinture, sculpture, photos, etc.)

Avedon et son sujet

Un intervenant sur le forum de galerie-photo, Fabrice Péjout, a vu il y a quelques années un reportage filmé sur Avedon à l’œuvre lors d’une prise de vue à propos d’un portrait : « Son attitude vis-à-vis du sujet était assez glaçante, il se tenait à côté de son Rollei, à environ 1 mètre, fixait le sujet sans dire un mot et attendait qu’il se passe quelque chose provoqué par l’état de malaise et de tension qu’il instaurait ». Nota : il s’agissait là d’une master-class à l’I.C.P. à New-York.

Mon avis : bien vu et bien retenu mais à replacer dans un contexte. Contrairement à un portrait hollywoodien, ses personnes photographiées
ne sont pas en situation de complaisance. Reprenons un peu les photographies du siècle dernier : chez Nadar qu’Avedon admirait, les personnes photographiées avaient de la présence et étaient respectueuses envers le photographe. Cela se voit et se lit sur les visages.
Aujourd’hui comment est l’Homme Contemporain en présence d’un photographe ? Le sujet est pressé, inconstant, agité, le téléphone sonne dans sa poche de chemise, il est impatient d’en finir alors que l’on n’est qu’à la troisième vue ; il est stressé aussi, méfiant, pose des questions incongrues sur l’appareil… il
est tout sauf en relation avec le photographe aussi bien corporellement que dans sa tête, surtout s’il n’est qu’un sujet est choisi au hasard d’une rencontre, au détour d’un chemin !

Avedon a choisi de restaurer une relation avec le sujet photographié.
Une fois qu’il a trouvé sur son dépoli, l’inscription de la personne par rapport à son fond blanc, Avedon essaie d’abandonner tout ce qui concerne la logistique de prise de vue. C’est en duo ou alternativement que ses deux assistants œuvrent (parfois avec  l’aide d’une tierce personne en appoint lorsque c’est nécessaire) : ils mesurent la lumière, ils ferment au diaph exigé, ils arment l’obturateur, ils chargent le châssis, ils enlèvent le volet, ils remettent le volet, se repositionnent avec un autre châssis pour une deuxième prise de vue qui ne laissera aucune temps mort, refont le point sur le dépoli si c’est nécessaire…
Que fait Avedon pendant ce temps ?
« il drive » la personne en se tenant en position de frontalité face à elle, déclencheur souple en main, à côté de sa Deardorff. Défilent alors dans sa tête des mots comme assujettir, régir, vaincre, subjuguer, imposer, maîtriser... En fin stratège de guerre à la Sun Tzu (stratège de guerre chinois, VIe - Ve siècles avant J.-C.) ou à la Clausewitz, le photographe doit savoir reculer, amadouer, lâcher prise, laisser une ouverture au sujet vers le photographe et puis quand dans une fraction de seconde le masque tombe, la photo est en boîte.

Si, entre-temps la personne (qui n’est pas un professionnel de la pose) a bougé avant que le masque tombe tout est  à reprendre à zéro ou presque : réinscription de la personne dans le cadre, mise au point, reprise en main de la situation... en même temps il ne s’agit pas d’épuiser le sujet si cette personne est potentiellement intéressante.

Note technique : en 8x10 la profondeur de champs est comptée : si le sujet recule de quelques  centimètres, c’est l’imprécision et le flou qui s’installent… au prix où est le plan-film !

Avedon l’Opiniâtre

Le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey donne au mot opiniâtre le sens de : (dès 1585) tenace, entêté dans son comportement ou ses idées, persévérance tenace, acharnement.

Quand en mai 1974 Richard Avedon rentre à l’hôpital pour une péricardite, il en ressort aussi vite, installe son lit médical roulant dans son studio
et allongé, déclencheur en main, entame son catalogue pour Bloomingdale. Avez-vous souvent vu un photographe travailler dans cet équipage ?

Quand, pour sa monumentale autobiographie, après avoir épuisé tous les catalogues de couleurs et d’échantillons à disposition chez l’imprimeur, Avedon ne trouve pas le rouge exact qu’il a en tête, il cherche  ailleurs. Après de longues recherches, il trouve le rouge qui lui convient : c’est un rouge de bâton de rouge à lèvres. Pour ces détails révélateurs, constants tout au long de sa carrière, il tient d’Alexey Brodovitch (1898-1971) son professeur.

Faire simple ce n’est pas si simple

Il ne faut pas penser  qu’il suffit de se placer à côté de l�������������������������������������������������optique d����������������������������������une Deardorff pour pouvoir réaliser une œuvre qui marquera l’histoire de la photographie : je reviens toujours à cette phrase d’Avedon « faire simple, c’est ce qu’il y a de plus compliqué ».

« Driver » une personne à la manière d’Avedon, c’est avoir dans sa tête, en arrière fond, une foule de réflexes qu’il faudra utiliser selon le déroulement de la prise de vue (en présence directe de la personne et souvent sous une tension permanente) :
- Procéder quelquefois finement, quelquefois rondement
- Ne pas troubler le point faible du sujet
- Savoir devenir transparent au bon moment
- Deviner où portent les petits mots
- User de réflexion, sans en abuser
- Ne pas s’emporter
- Savoir attendre
- Se mesurer selon les gens
- Ne pas être inaccessible
- S’accommoder à toutes sortes de gens
- Savoir entretenir l’attente d’autrui
- N’être pas lassant
- N’être pas répréhensif
- Gagner le cœur
- S’aviser, et se raviser
- L’art de laisser aller les choses comme elles peuvent, surtout
quand la mer est orageuse
- Entrer sous le voile de l’intérêt d’autrui pour rencontrer après le sien
- Savoir se contenir
- Tirer quelques coups en l’air pour débloquer une situation face à la personne photographiée
- Se retenir de parler
- Ne pas tomber dans le cérémonieux
- Savoir estimer l’autre
- Savoir se transplanter (laisser le sujet dans son rôle disait Hilla Becher par rapport à August Sander)
- Ne jamais prendre les choses à contre-poil, bien qu’elles y viennent
- Savoir trouver le goût d’autrui
- Souffrir la raillerie, mais ne point railler (entreprenez donc un jour une campagne photographique avec des personnes n’ayant jamais posé)
- Ne jamais en venir à la rupture
- Ne pas continuer une sottise
- Savoir oublier
- Laisser contredire sans dire, etc.

et aussi, il n’y a pas que des photos « simples » chez Avedon :
Vous photographiez ainsi cet homme de banque amateur d’abeilles qu’était Ronald Fischer, torse nu et recouvert en partie d’abeilles, visage compris, en trois sessions de travail sur deux jours. Vous faites 121 plan-films 8x10. Rappelez-vous combien il a fallu d’abeilles sur l’emplacement du studio improvisé pour réaliser cette image… 120 000 !


Venez un jour à Sweetwater dans le Texas photographier Jimmy Lopez, ouvrier travaillant dans le gypse, sous une température de 107 degrés Fahrenheit, des heures durant. Très vite vous serez obligé de mettre un casque blanc de chantier qui est si facile à porter surtout quand on penche la tête en avant. Il vous faudra protéger votre soufflet noir de la chambre avant qu’il ne s’effondre …
Dans ce Texas profond pour comprendre les gens et leur culture, il vous faut aussi danser avec les cow-boys et si vous ne savez pas vous imitez. Il existe une très belle photographie représentant Avedon fixant et imitant le pas de danse d’un couple de Texans dansant.

Avedon et l’éclairage Naturel pour son tour américain

Avedon reprend la lumière des pionniers-photographes itinérants qui parcouraient les Etats-Unis d’Amérique vers 1875 et celle du photographe Brady (1823-1896) : pas de flash, pas de lampes, tout est fait en lumière naturelle.
Pour le fond blanc, il scotche environ 2,75 m. x 2,15m de papier blanc sur un mur en plein air. J’ai bien dit en plein air ! Il ne faut pas un pli car le moindre pli se voit sur le futur tirage si vous agrandissez à taille d’homme comme Avedon. Cela ne devait pas être commode, au vent et à l’humidité…

Avedon et l’Eclairage en Studio

J’ai depuis 1969 quelques schémas dans ma bibliothèque technique concernant les dispositifs d’éclairage d’Avedon dans son studio. Vous comprenez bien que s’il suffisait de reprendre ces dispositifs-là, il y aurait 100 Avedon sur la planète. Mais en réalité très souvent le dispositif est amené à changer selon la nature du sujet. Quelques pistes de travail (quand même) extraites du studio d’Avedon :
Le «Balcar », parapluie de studio d’invention française est cher à Avedon.
Cet outil de base est omni-présent dans son studio. Il se décline en de multiples tailles, formes et revêtements (blanc, blanc coupé, métallisé etc.) Avedon use également à bon escient
de mylar pour adoucir l’impact de la lumière.
Les Balcar étaient accrochés à des torches Elinchrom montées sur plusieurs générateurs Elinchrom de 2000 watts.secondes avec trois prises torche par générateur. Petite remarque : avoir plusieurs générateurs à trois prises était très intéressant pour Avedon car plus on descend en puissance avec une torche, plus rapide est l’éclair. Vous pouvez ainsi figer votre
sujet à la manière « Munkacsy » (sujet en plein vol comme des danseurs) tout en étant ultra net sur votre tirage au résultat. Martin Munkacsy (1896-1963) était un des photographes préférés de Richard Avedon en photo de mode.

Le fond du studio avait la forme d’un cyclorama. Souvent la lumière principale était réglée au diaph 16 et son fond à 16,5 car Avedon n’aimait guère les blancs purs.

Le studio compte 11 permanents et quelques intervenants suivant la charge de travail.

Si aujourd’hui on voulait travailler « à la Munkacsy » dans un studio et avoir de la puissance pour un beau diaph sur la chambre avec un film basse sensibilité, on devrait prendre les générateurs Grafit
ou Scoro de chez Bron qui sont le top du top actuel pour figer les mouvements.

 

Lire aussi la page sur Richard Avedon

 

dernière modification de cet article : 2010

 

 

tous les textes sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs
pour toute remarque concernant les articles, merci de contacter henri.peyre@(ntispam)phonem.fr

une réalisation phonem

nouveautés
galerie
technique
matériel
stages
adresses
librairie
boutique amazon
magasin arca-swiss 

plan
forum
liens
contact

abonnement gratuit
recherche sur le site
(chargement lent en première utilisation - veuillez patienter)