Brice Desrez, photographe d'architecture
et... utilisateur d'un dos numérique
Ingrandes, salle polyvalente - © Brice Desrez
Galerie-photo : Brice, comment êtes-vous
venu à la photographie d'architecture ?
Brice Desrez : La photographie
d'architecture s'est imposée à moi je dirais naturellement. Photographe de
studio de formation (pub, voiture, mode), j'ai entamé parallèlement un
travail de recherche en photographie dans les années 80 qui s'est vite
transformé en une pratique d'installation plastique... que j'étais amené à
photographier pour en rendre compte.
Pour essayer de faire simple, mon
domaine de recherche tente de décrire et d'étudier la notion d'horizon, au
sens propre en tant que lieu et limite physique, et au sens figuré en tant
que limite intellectuelle et parcours intérieur, avec comme champ
d'application l'art des jardins.
Pour moi, en tant que
manifestation du génie du lieu (ce qui s'y joue) et lieu de génie (ce dont
il parle), le jardin est une représentation simplifié du système horizon.
J'ai par exemple réalisé une série dans un jardin en Normandie qui
consistait à prendre toujours du même endroit et à la chambre, un "espace
extérieur clos" créé par deux palissades de doses comprenant à l'angle de
cette "pièce", un vieux poirier. Le point de vue au sens propre, le cadre
quoi, était stable, ne changeait jamais mais ce qui était en mouvement, ce
qui rendait compte des choses sous différents points de vue au sens figuré,
c'était les installations multiples et variées comme des jardins
d'intérieur. Et la photographie d'architecture pour moi est un champ
d'application à l'égale de l'art des jardins... Et même si entre les deux il
n'y a qu'un pas, je ne confonds surtout pas mon approche en art et ma
pratique de photographe professionnel. D'ailleurs la question ne se pose
même pas... face à une réalisation, je fais avec la lumière et ces
incertitudes... Les mêmes qui m’habitent alors que le bâtiment se dresse tel
une question et qu’il appelle en réponse immédiate un point de vue, une
image.
Et puis c'est à force de laisser
passer les paquets de nuages et le soleil parcourir l’écliptique, que les
vides se révèlent, que les lignes se posent et que les reflets au détour
d’un point de vue surgissent... tels des génies du lieu. On rejoint là une
notion de parcours, de sobriété dans la narration et de lenteur inhérente à
ma façon de voir le monde.
Briare, maison individuelle - © Brice Desrez
Quels matériels avez-vous utilisés
successivement et pourquoi les changements successifs ?
J'ai commencé dans les années 90
la photographie d'architecture en dilettante au moyen format, puis avec
cette idée de travail sur la notion de point de vue, je suis vite passé à la
chambre 4x5 Sinar F pour essayer de rendre compte au plus près de l'esprit
d'une architecture. D'abord avec Symmar 135mm Schneider pas tout jeune que
l'on pouvait inverser pour obtenir un 235 avec un piqué bof bof... puis avec
un super angulon 90mm XL Schneider, le tout sur un pied Gitzo N°2 à double
tubes allonge et crémaillère ce qui me permettait (et me permet toujours
puisque j'ai conservé le pied), de culminer à plus de 2M50 et de prendre un
peu de hauteur...
Mon support était pour
l'essentiel de l'EPP Kodak en direct et suite avec scan par mes soins
derrière avec une machine performante, l'Epson 4990... mais avec force
poussières, pétouilles, etc.
Enfin, j'ai utilisé pendant 6
mois une chambre Arca 6x9 métrique avec un Apo Sironar 35mm Rodenstock et
toujours mon 135mm qui avec le dos Leaf Aptus 22 que j'utilisais derrière la
chambre, passait pas si mal que ça.
Aujourd'hui j'ai le même matériel
hormis le 135, que "j'accroche" sur une Rm3d.
Argenton, gymnase - © Brice Desrez
Vous utilisez aujourd'hui un dos Leaf Aptus
22 et une chambre Arca 6x7 ou Rm3D. Comment s'est fait le passage à un tel
équipement ?
Le temps que j'ai mis à utiliser
du numérique correspond au temps dont j'avais besoin pour faire le tour des
choses, parce que plus qu'un foudre de guerre en matière de technique, j'ai
plutôt une démarche d'expérimentateur et intuitive. J'avais donc évidemment
des doutes au début sur les problèmes de définition, de compatibilité de
matériels, d'utilisation accessible, de rendu chromatique, de rendu tout
court (et j'en ai toujours en ce qui concerne le N&B) avec la crainte de
faire des images trop irrémédiablement nettes, numériques, froides.
J'avais aussi peur du
comportement par trop consommateur d'images que l'on peut avoir avec le
numérique et la capacité des cartes mémoires, c'est-à-dire de faire des
images à la pelle comme grosso modo "bracketter" le cadre et jeter les 3/4
des images après.
Enfin, changer de mode de capture
m'imposait de tout changer jusqu'à mettre à jour ma chaîne de post
production derrière avec un écran de qualité et calibré, une turbine
suffisante... bref, au bout du compte, un sacré compte justement.
L'aspect consommateur d'image
c'est vite réglé, la chambre imposant son rythme. Pour le reste après avoir
pris des conseils à droite à gauche, fait des essais avec une Cambo et une
Arca, avec un Phase One et un Leaf, constaté que malgré tout le soin que je
mettais à scanner et les qualités du 4990, rien n'y faisait, je perdais une
vraie génération et de la matière dans les hautes et basses lumières (ce qui
est le comble quand on travaille à la chambre) ; après avoir échangé avec
des photographes sur ce genre de matériel notamment sur le forum technique
de Galerie Photo et trouvé finalement par ailleurs un vendeur compétent et
fiable (j'insiste juste sur ce point qui est une valeur humaine fondamentale
pour moi : la confiance que crée le savoir-faire au même titre que le
savoir-voir que je propose aux architectes qui me font confiance).
Bref après ce tour de piste
"complet", je me suis lancé, à un moment aussi où mon travail rencontrait de
plus en plus d'écho auprès d'architectes. Ce qui m'a franchement décidé a
été la décision du Conseil de l'Ordre des Architectes de la Région Centre de
me sélectionner pour réaliser l'ensemble des clichés des 50 bâtiments qu'il
avait décidé de présenter lors de l'exposition Architectures
Contemporaines en Région Centre.
Je me voyais mal réaliser des
images devant être présentées en 40x60 sur des panneaux A1 avec de
l'argentique scanné, pour les raisons que j'expliquais toute à l'heure. Et
je dois dire que depuis, rien n'a changé quant à ma façon d'appréhender mes
sujets et tout a changé dans ma façon de les capter : je cadre comme avant,
je travaille avec un voile noir, je fais un premier point avec des bascules,
plus pointu qu'en 4x5 - et pour cause - et je shoote.
Saran, Tribune - © Brice Desrez
On parle beaucoup
sur les forums de la difficulté de la mise au point. Quelle est votre
expérience à ce sujet ?
L'environnement de l'écran
tactile de l'Aptus 22 me permet un contrôle sans faille de l'image et de sa
mise au point au rapport 1.
Après un temps de pratique, je
sais quand je suis pas net ; dès lors j'avance ou recule mon plan par
déplacement micrométrique avec des repères maison "à la Sinar", je bascule
plus ou moins et je n'ai jamais rencontré de problème de netteté, lorsqu'à
l'atelier je retrouve toutes les images sur l'écran.
C'est vrai, au début j'ai
expérimenté, et cela me prenait plus de temps sur chaque cadre, mais
maintenant c'est fini. Et puis je me suis calmé sur la course à la netteté,
j'essaie même de travailler, toutes proportions gardées, un peu le mou pour
casser l'esprit numérique !
Par ailleurs, l'environnement du
logiciel de capture Leaf sur mon ordinateur, me permet de développer à 75%
les images et de les peaufiner sous Photoshop en un temps très rapide.
Semoy, salle de spectacle - © Brice Desrez
Des difficultés particulières avec votre
équipement ?
Le point sensible reste pour moi
l'autonomie en terme d'énergie puisque je sollicite beaucoup les
fonctionnalités de l'écran CCD et que les batteries s'épuisent d'autant plus
rapidement qu'il fait froid. Mais je suis en train d'étudier une solution du
type batterie Quantum... à des coûts moins prohibitifs. Enfin, si
l'inquiétude liée à ce qui allait sortir de la production d'E6 a disparu, il
reste celle liée à la carte mémoire, au disque de stockage, c'est-à-dire
l'effacement des données sous un prétexte quelconque ou une mauvaise
manipulation...
Pour le reste, la possibilité de
contrôler le rendu technique me permet de récupérer de la concentration et
de la créativité sur le cadre. Et le choix de la Rm3d va dans le même souci
lié à la notion de point de vue, c'est-à-dire dans la tentative de retrouver
de la mobilité dans la découverte des points de vues et d'être moins
statique, moins "exercice de style" dans la façon d'ordonner le cadre et de
poser mes lignes. Essayer ainsi de récupérer une esprit "folding" et main
levée, regagner du geste, du sensible, de l'humain. A suivre... parce que
finalement si ma pratique reste une histoire de voyage d'un site à l'autre
et de nez au vent, il s’agit, avant toute chose, de parcours dans le temps
avec la lenteur comme compagne...
La totalité de l'exposition
est visible
ici
dernière modification de cet article
: 2008
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