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Cyrus Cornut : Chongqing

 

Cyrus, où et quand ont été prises ces images ?

J’ai réalisé ce travail en décembre 2017 dans la Municipalité de Chongqing en Chine. Chongqing se situe dans le centre de la Chine, plus exactement au nord du plateau du Yunnan-Guizhou et à l’Est du Sichuan dans une région montagneuse. Elle est traversée par la rivière Jialing et le fleuve Yang-Tsé.

En raison de sa topographie mais aussi de la pollution, la ville est en quasi-permanence couverte d’un brouillard blanc qui lui confère une atmosphère particulière et qui la place au rang des villes qui jouissent du plus bas taux d’ensoleillement du pays.

J’ai concentré mon travail sur la partie urbaine de la municipalité, laquelle est entourée d’une vaste région plutôt rurale.

 

Dans quelles conditions et avec quelles intentions étiez-vous parti à Chongqing ?

Je suis parti à Chongqing par mes propres moyens, sans financement particulier, et pour la première fois avec une chambre 4x5’’, une Chamonix 045-N2. Je pars souvent sur des coups de tête, mais mes destinations sont néanmoins pensées à l’avance.

Cet hiver là j’avais plutôt en tête d’aller photographier Bangkok. J’ai beaucoup arpenté cette ville depuis plus de 15 ans, mais je n’y ai presque jamais fait de photos, ne sachant sous quel angle l’aborder. Assis à mon bureau à m’y promener sur Live View et ne trouvant toujours pas l’axe photogénique de cette ville, je me suis soudain souvenu de mon envie d’aller à Chongqing 6 ans déjà auparavant. J’avais « découvert » cette ville par le biais d’une connaissance qui partait là-bas en expatriation.

J’ai alors commencé à étudier la ville, son iconographie, sa topographie, ses transports en commun, etc. J’ai constitué une carte plutôt difficile à exploiter car Google n’est pas praticable en Chine – le point GPS est décalé et l’image satellite et les données ne sont pas superposées. La Chine utilise son propre système, Baidu, qui n’a rien à envier au modèle américain. Il m’a d’ailleurs bien servi sur place. Néanmoins j’y ai défini un certain nombre de points qui me semblaient intéressant à photographier.

L’intention initiale était de parler du développement effréné d’une mégapole, de ses transformations guidées davantage par des idées de croissance économique et de performances que par des considérations sur le bien-être humain. En particulier ce qui m’intéresse dans le modèle chinois est la politique de la table rase, la capacité de raser d’anciens quartiers pour densifier les villes avec des logements de masse à des échelles bien plus grandes que celles que l’on a développées en France dans les années 60. Plus directement, ce qui rend, pour moi, cette ville intéressante est le contraste entre la densité des logements de masse et les pratiques de maraîchage et de pêche des populations issues de l’exode rural. On trouve partout, dans le moindre interstice de la ville, sur les toits, sous les ponts, des parcelles plus ou moins grandes de cultures vivrières.

 

 

cyrus cornut : Congking
© Cyrus Cornut

Pêcheur dans la brume au pont Cayiuanba Changjiang. District de Yuzhong, Chongqing. Chine, Décembre 2017.

La ville de Chongqing par sa topographie est en quasi-permanence couverte d'un épais brouillard d'humidité et de pollution. Cela en fait une des métropoles les moins ensoleillées du pays.
Le long des berges du Yang-Tsé, restées sauvages en de nombreux points, des pêcheurs s'adonnent à leurs occupations malgré la forte pollution des eaux. Conséquence du développement effréné de la région, cette pollution s'est énormément accrue.
Depuis 2015 néanmoins, le gouvernement a décidé la mise en place d’une politique de sauvegarde de l’environnement fluvial.



le photographe

Cyrus Cornut

né en 1977
Photographe, Architecte de formation, son travail s’oriente en premier lieu sur la ville, sa plastique, ses évolutions, ses traces, ses vides, et sur les comportements humains qu’elle induit
cyruscornut@gmail.com
www.cyruscornut.com


 





D'où vient le développement accéléré de Chongqing ?

Le pouvoir central a fait de Chongqing la quatrième municipalité chinoise ; les trois autres étant tournées vers l’Est, il fallait créer une centralité économique orientée vers l’ouest et la « nouvelle route de la soie ». Il s’agit aujourd’hui de la plus grande municipalité du monde avec près de 34 millions d’habitants, dont le centre urbain de 15 millions d'âmes est perfusé de près de 300 000 nouveaux arrivants chaque année. Après la construction du barrage des Trois Gorges, d’importantes populations rurales ont migré dans cette ville qui comporte aujourd’hui une des plus fortes croissances démographiques et économiques mondiales.

La volonté d’orienter son économie vers l’Ouest et l’Europe a donc impliqué un développement fulgurant. Les entreprises sont venues s’installer, le fleuve Yang-Tsé permettant, entre autres voies de transports, de faciliter le flux des marchandises.

On a rasé des pans entiers de ville, bâti des routes, des ponts, des échangeurs, des logements, des usines.

Un périphérique et 5 radiales de voies rapides favorisent un développement radioconcentrique irrégulier déformé par les contraintes topographiques. Le parc automobile chinois était de 325 millions de véhicules en 2017. En outre, Chongqing est devenu le premier centre de production automobile de la Chine. On y produit annuellement plus de voitures que Mercedes dans le monde entier.





© Cyrus Cornut

Raffles City. District de Jiangbei, Chongqing. Chine, Décembre 2017.

Raffles City est un projet commandé à l'architecte Moshe Safdie. Il est situé à Chaotianmen, la pointe du district de Yuzhong, à la rencontre du Yang-Tsé et de la rivière Jialing. A la fois massives et élancées, ses 8 tours de logements et bureaux culminent pour certaines à plus de 300 mètres et symbolisent l'ascension fulgurante de la ville au rang des meilleures croissances mondiales.
En adoptant la forme d’une immense voile de navire, le gratte-ciel est un hommage à l’histoire de la ville, connue pour ses voies navigables. Le projet incluant une plateforme sur le modèle de Marina Bay à Singapour a explicitement été commandé en se basant sur un modèle encore plus démesuré de ce dernier. Le bâtiment se distingue par sa conception écologique de haut niveau. L’association United States Green Building Council a décerné à Raffles city Chongqing le niveau maximum de certification environnementale.




Galerie-photo remercie
Georges Laloire
pour sa relecture bienveillante

 




Avez-vous le sentiment d'un consentement généralisé et actif de la population à la modernité ou pensez-vous qu'il y a dans le peuple ce sentiment d'effroi qu'on lit dans vos images ?

C’est assez difficile pour moi de répondre à cette question car je ne fais pas un travail de photojournaliste, mais plutôt un travail d’observation et d’interprétation du paysage.

Ma perception des habitants se fait surtout selon la classe sociale à laquelle les gens appartiennent et ��������������������������������������������� leur situation personnelle par rapport à cette ville. En gros il y a, d’un côté, ceux qui sont arrivés des campagnes par désespoir, expropriés, leurs villages ayant été engloutis pas les eaux du barrage ; d’autres, qui habitaient déjà la ville avant son développement, ont vu leurs logements démolis pour laisser place à de nouveaux quartiers ; enfin ceux qui sont arrivés pour les meilleures conditions que leur offrait la croissance économique locale. La municipalité vit clairement à deux vitesses, voir plus, entre ceux qui survivent et ceux qui ont tiré leur épingle du jeu.

Pour ma part j’en ai une vision que je nomme « poétique du fatalisme ». Il y a quelque chose qui fait mal au cœur dans ces bouleversements que plus personne ne contrôle. Mais il y a quelque chose de particulier en Chine, c’est la force du lien social qui perdure, semble-t-il, malgré tout dans les moindres recoins de la ville.

Cela dit, je ne suis évidemment pas spécialiste de la question.






© Cyrus Cornut

Voie aérienne de Huangyang. District de Jiulongpo, Chongqing. Chine, Décembre 2017.

Les infrastructures aériennes sillonnent la ville. Ici l'axe aérien de Huangyang, parallèle aux berges du Yang-Tsé distribue la ville et relie les ponts entre eux.
Un périphérique et 5 radiales de voies rapides favorisent un développement radioconcentrique irrégulier déformé par les contraintes topographiques. Le parc automobile chinois était de 325 millions de véhicules en 2017. Chongqing est devenu le premier centre de production automobile de Chine. On y produit annuellement plus de voitures que Mercedes dans le monde entier.

 

   





Quel est votre rapport personnel au monde ?

La question est vaste et dense, je ne pensais pas avoir à y faire face sur un site de photographie dédié au grand format ;-)

A vrai dire j’ai une analyse un peu trop pessimiste pour me permettre de la coucher par écrit publiquement. J’essaye au moins de faire correctement ma petite part des choses selon la philosophie du colibri de Pierre Rabhi. J’essaye aussi, autant que faire se peut, d’utiliser la photographie pour faire du beau, souvent avec des choses qui le sont moins, l’idée étant de montrer une capacité de dissociation entre le fond et la forme.





© Cyrus Cornut

Les petites rives et le maraîchage. District de Banan, Chongqing. Chine, Décembre 2017.

Les petits cours d'eaux affluents du « Fleuve bleu » permettent de maintenir une agriculture urbaine malgré le rouleau compresseur de l’urbanisation. Les modes de vie ruraux des déplacés des Trois Gorges se maintiennent encore pour un temps là ou l’urbanisation n’a pas encore couvert les sols.

   







Qu'est-ce pour vous qu'une bonne photographie ?

Je peux déjà dire que c’est une conception très relative à la culture de chacun.

Pour moi néanmoins il peut y avoir plusieurs niveaux de lecture qui font d’une image une bonne photographie.

Il y a l’image purement documentaire qui est bonne si elle raconte quelque-chose de fort même si sa forme peut être secondaire.

Mais il y a aussi la photographie qui provoque un sentiment, sans doute propre à chacun, mais parfois aussi universel. Elle peut être documentaire, mais pas forcément, et, là, la diversité des formes et des écritures est infinie. Elle est bonne si elle raconte ou/et si elle émeut, si elle captive.







© Cyrus Cornut

Chaotianmen, point de Confluence du fleuve Yang-Tsé et de la rivière Jialing, Chongqing. Chine, Décembre 2017.

Le fleuve a permis le développement du commerce et de l'urbanisation de la ville. Au loin, la construction de Raffles city, sur la pointe de Yuzhong, symbolise la puissance de cette croissance, l'une des plus importantes de la planète.
Depuis le pont de Chaotianmen Changjiang qui relie le District de Jiangbei (à droite) au district de Nan'an, et dans un des fog de pollution les plus élevés de Chine, trois districts se regardent.
Par les multiples plans du développement du Yang-Tsé la Chine est en train d’en faire la colonne vertébrale de tout un peuple.

   




Comment êtes-vous venu à la photographie?

Je suis architecte de formation. Lors de ma sixième année d’étude, je suis parti faire un voyage de trois mois en Chine, une petite pose qui m’a permis par hasard de rencontrer de nombreux photographes, puisque je logeais à Pékin chez une photographe.

J’ai trouvé que ce métier avait l’air de donner beaucoup de liberté, là où le métier d’architecte me faisait entrevoir beaucoup de contraintes. Je n’avais à l’époque jamais envisagé que le métier de photographe puisse être possible, mais j’aimais déjà la photographie. Dès lors je me suis mis sur place à essayer de faire des photos autrement que sous l’angle du simple visiteur, encouragé par ceux que j’avais rencontrés.

En rentrant en France, j’ai montré ces photos, et j’ai réussi à les exposer suite à des lectures de portfolios. Les choses se sont enchaînées très vite, les rencontres, les opportunités, et je n’ai donc finalement jamais passé mon diplôme d’architecte DPLG, sans regrets.

Ma photographie tourne cependant principalement autour de la ville et de l’architecture. Mais de plus en plus je m’intéresse au paysage au sens plus large. Depuis quelques années je me suis mis au grand-format, en 4x5’’, ce qui, en plus de la spécificité des images obtenues, me redonne un plaisir que la photographie numérique m’avait fait un peu perdre.





Si vous aviez un seul conseil à donner à un jeune photographe qui débute, quel serait-il ?

Empiler les travaux, rencontrer des acteurs de la photographie, ne pas travailler seul dans son coin, consommer des travaux, mais pas seulement photographiques. La peinture, le dessin, le cinéma, la lecture, et bien d’autres médias sont autant de sources d’inspiration.
Se donner les moyens économiques de produire ses travaux personnels par tous les moyens. Si on attend d’être financé, on risque d’attendre longtemps.

Voilà, ça fait un peu plus d’un conseil finalement !





   

dernière modification de cet article : 2020

 

 

 

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