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l'auteur

Emmanuel Bigler est professeur (aujourd'hui retraité) d'optique et des
microtechniques à l'école d'ingénieurs de mécanique et des microtechniques (ENSMM) de Besançon.
Il a fait sa thèse à l'Institut d'optique à Orsay
E. Bigler utilise par ailleurs une chambre Arca-Swiss

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Notes de lecture, « Large Format Nature Photography »
de Jack Dykinga

Emmanuel BIGLER

(english version)


Convaincant : c'est l'adjectif qui s'impose naturellement à la lecture du livre de Jack DYKINGA [1]. Tout d'abord parce qu'il est illustré d'images superbes qui vous « parlent » immédiatement : les photos vous conduisent ensuite pour plus d'information vers le texte, toujours simple et clair. Le ton est donné dès le départ lorsque l'auteur nous fait partager l'émerveillement des diapositives grand format, à chaque livraison [2] « postale » (pardon, aux USA on préfère les transporteurs privés) d'un paquet de diapos 4''x5'', nous dit-il, « c'est Noël, ou presque ».

Pour ceux qui ont déjà lu le livre de Pierre GROULX [3] , ce livre en sera le prolongement « naturel » à tous les sens du terme vers l'utilisation de la chambre en photographie de paysage, y compris lorsqu'on va bivouaquer en autonomie complète. Au départ, Jack DYKINGA est un photo-journaliste chevronné. Il ne nous cache pas les difficultés qu'il a rencontrées et les erreurs qu'il a pu commettre lorsqu'il fit ses premières armes en grand format, après avoir décidé de « passer » au 4''x5''. Issus de son expérience, les conseils qu'il donne, de l'utilisation des mouvements de la chambre à l'organisation du matériel sur le terrain, en sont d'autant plus convaincants.

À ceux qui sont déjà persuadés que la chambre de campagne en bois est la plus légère dans le sac à dos et sur le terrain, le livre n'apprendra rien sur ce point. Ceux qui sont persuadés qu'une chambre monorail métallique ne se conçoit qu'en studio, sur un lourd socle de fonte surmonté d'une colonne d'acier, avec volant-manivelle de machine-outil et contrepoids, ceux-là devront, à tout le moins, nuancer leur position car Jack DYKINGA a justement choisi d'illustrer son livre principalement avec des images prises avec la monorail.

Jack DYKINGA se défend d'avoir voulu faire un manuel technique, il renvoie donc ceux que passionne la démonstration géométrique de la règle de SCHEIMPFLUG au traité de référence de Leslie STROEBEL [4]. Néanmoins, chemin faisant et sans avoir l'air d'y toucher, il aborde plusieurs problèmes techniques difficiles de la prise de vue à la chambre. Par exemple il nous montre en silhouette sa chambre monorail, soufflet démonté, avec deux règles partant de l'arrière de l'objectif, afin de faire comprendre la limitation du cercle d'image lors de fortes bascules et décentrements. Il aborde aussi la délicate question de l'assombrissement des images en bord de champ pour les grands angulaires ; il discute de l'interaction de cet effet avec la variation de luminosité induite par l'allongement du tirage - le facteur de soufflet - et propose des solutions pour intégrer ces effets, parfois en les compensant mutuellement, dans une image lorsque les bascules sont importantes.

Il va même jusqu'à nous montrer les défauts qui apparaissent lorsqu'on « force » sur le décentrement vertical pour intégrer une façade d'église dans le format, lorsqu'on a peu de recul et qu'on refuse la convergence des verticales. Le liseré noir qui apparaît dans les coins supérieurs n'est pas sans rappeler les images du vieux Paris d'ATGET [5]. Outre que cette « bordure » de cadre supérieur arrondi a le charme de certains formats de portraits anciens, le terme « vignettage » provenant des « vignettes » à bords arrondis dans lesquels on aimait présenter les portraits autrefois, ce décentrage extrême nous montre à quel point l'image d'un grand angulaire de chambre moderne reste exploitable jusqu'à quelques millimètres de la limite absolue du champ de pleine lumière.

On sait l'accent que Ansel ADAMS met sur la pré-visualisation de l'image, le placement correct du gris moyen et la détermination de l'échelle de gris. Jack DYKINGA ne nous propose pas une nouvelle mouture du fameux « systèmes des zones », mais il insiste plutôt sur l'importance de la préparation de la randonnée photographique, l'importance du repérage préalable, l'importance capitale de la direction et de l'inclinaison du soleil. L'auteur ne se sépare pas d'une petite boussole de poignet, ce qui lui vaut les railleries de ses amis dans les soirées habillées, mais sur le terrain, nous ne pouvons que reconnaître qu'il a mille fois raison [6].

Le livre est aussi une invitation au voyage. Les taches de neige sur les grès rouges de l'Utah ou de l'Arizona nous rappellent avec sagesse que c'est en dehors de l'été que se situent les meilleures périodes pour une randonnée photographique dans l'Ouest [7]. Et les forêts de trembles (aspens)  ! Ceux de DYKINGA sont moins austères que ceux d'ADAMS [8], avec les jeux de lumière dans leur feuillage d'automne. On pourra, une fois n'est pas coutume, rester réservé devant ces cadrages en contre-plongée, qui évoquent plutôt l'étourdissement du héros dans une série pour la télévision que la sérénité des forêts de l'Utah [9] à l'automne.

Jack DYKINGA termine l'ouvrage par quelques conseils a priori destinés à ses confrères professionnels souhaitant tenter comme lui l'aventure du grand format. Il met en garde contre la tentation de refaire sa propre version de l'Arche Délicate qui ne serait qu'un « sous-Muench » [10], ou une Moufle Droite-et-Gauche de Monument Valley tombant dans le « sous-Adams » [11].

Ce conseil doit également être médité par les amateurs, bien qu'il soit difficile en parcourant les Parcs célèbres autour des « Quatre Coins » de ne pas avoir en tête les images des maîtres nord-américains [12].

C'est donc le moment de se rappeler que sans nous éloigner beaucoup du triangle géographique formé par Bad-Kreuznach (Allemagne), Hörgen (Suisse) et Besançon (France) où est fabriqué le matériel (optiques et chambres, mais il ne faudrait pas oublier non plus le pied-photo français) que Jack DYKINGA affectionne tout particulièrement, nous trouverons nos paysages alpins grandioses, nos combes cachées semées de fleurs, et tous nos monuments et trésors d'architecture. Sachons donc les redécouvrir avec un oeil neuf sur le grand dépoli de chambre, en prenant son temps.


Références et commentaires personnels

[1]

"Large Format Nature Photography'', Dykinga, Jack, ISBN 0817441573, (Watson-Guptill, New York, Novembre 2001)

 

[2]

Aux États-Unis, on utilise beaucoup le développement de films par correspondance ; amateurs ou professionnels choisissent souvent un laboratoire qui pourra être situé à des centaines de kilomètres de leur domicile.

 

[3]

''La photographie en grand format'', GROULX, Pierre, ISBN 2-89113-505-9, première édition (éditions Modulo, Mont-Royal, Québec, 1992-1993)

 

[4]

"View Camera Technique'', STROEBEL, Leslie D., 7-th Ed., ISBN 0240803450, (Focal Press, 1999)

 

[5]

"ATGET, Voyages en ville'' choix de photographies d'Eugène ATGET, textes de P. GASSMANN, R. MARTINEZ et A. POUGETOUX, ISBN 2-85108-238-8 (Chêne/Hachette 1979)

 

[6]

Vous êtes fier de vous, car pour cette visite au Parc des Arches en plein été, vous avez réussi à faire lever votre petite troupe avant le jour. On ne vous avait pas cru a priori, mais la veille les cent degrés Farenheit qui sont l'ordinaire de la région ont fini par faire entendre raison à ces européens insouciants. Vous voilà partis par le sentier, vous vous émerveillez de la progression sur les vires faciles en grès rose ; les gardes du Parc ont soigneusement choisi le balisage pour garder le suspense, ce n'est qu'au dernier moment que l'Arche tant attendue se dévoile... hélas le soleil est déjà haut car vous avez traînassé à photographier en chemin, mais surtout : c'est à contre jour !! Il aurait fallu venir à la tombée du jour, ou mieux, repérer la veille sur la carte avec la boussole l'endroit où mène le chemin, afin de prévoir comment le soleil éclairerait la scène... évidemment ce soir vous avez réservé un peu plus loin à proximité d'un autre Parc, c'est la haute saison (difficile d'annuler), et il y a encore quelques centaines de kilomètres à parcourir...

 


© Emmanuel Bigler

 

[7]

Alors que pour visiter le nord-ouest (ouest de l'Oregon et du Washington) la fin d'octobre est trop tardive (pluie, froid), la même période proche de ce qui serait ici la Toussaint convient parfaitement pour l'Arizona et l'Utah. Les jours sont un peu plus courts et la nuit tombe abruptement vers 6 heures, on s'y fait si on accepte de se lever à 6 heures. Campings et motels seront moins remplis, la température sera très agréable et les couleurs superbes. On peut même aller au Grand Canyon et à Monument Valley un peu avant Noël si le temps est clair, c'est peut-être avec la neige que vous ferez les plus belles photos. Mais il peut faire froid, -20 degrés C au petit matin c'est à prévoir à Williams ; il faut accepter de s'habiller chaudement à chaque sortie-photo.


© Emmanuel Bigler

Essayez de ne pas partager comme je l'ai fait un véhicule avec des amateurs de chaleur vêtus du réglementaire pantalon de toile et de la chemise légère qui est le costume de Palo Alto 365 jours par an, dans ce cas les arrêts-photo seront réduits au minimum, hélas. Et si vos amis n'ont en tête qu'une chose : retourner à Las Vegas bien au chaud devant les machines à sous, avant que les familles n'arrivent à leur tour, une fois passées les célébrations de Noël, vous devrez souffrir de redescendre la route du Zion sans arrêt. Au lever de lune sur le Zion enneigé, ne pas avoir pu simplement tenter de vous rappeler ce qu'est la luminance de la pleine Lune pour faire votre propre "Moonrise'', c'est vraiment la pire épreuve pour un photographe.

 

[8]

"Examples, the making of 40 Photographs'', ADAMS, Ansel, ISBN 0-8212-1750-X (broché) ISBN 0-8212-1551-5 (relié) (Little and Brown Co., 1983 - 1989)

 

[9]

Lorsque, après avoir longtemps rêvé sur la superbe carte « Indian Country » de l'Automobile Club - on la trouve partout - vous décidez de rejoindre Bryce Canyon par la route de l'arrière-pays, vous démarrez d'un plateau semi-désertique aux confins de la bordure Utah-Arizona tracée au cordeau. Déformé par vos leçons de géographie européenne de l'enfance, vous pensez que cette « route de montagne » va vous montrer un étagement de la végétation dans le sens alpin : plus d'altitude égale encore moins de plantes ; vous vous attendez donc à des tables de roc encore plus nues. C'est exactement le contraire qui se passe, car plus vous montez - très insensiblement comme toujours sur les routes de l'Ouest - plus la végétation réapparaît, voici ces trembles merveilleux et inattendus et des parterres de fleurs. 


© Emmanuel Bigler

Si vous allez à la rive nord du Grand Canyon qui approche les 2000 mètres d'altitude, vous traverserez une combe immense bordée de pins ou de sapins, recouverte de fleurs, sur des dizaines de kilomètres. La même surprise vous attend en montant à Cedar Breaks où l'altitude dépasse 2500m, là où les trembles poussent dans ce qui ressemble à des coulées de laves volcaniques. L'émerveillement n'a d'égal que la difficulté à rendre en photo l'impression produite par ces forêts si peu européennes dans leur apparence.

 

[10]

''Utah'', photos de David MUENCH, texte de Ann ZWINGER, ISBN 1-55868-024-1 (Graphics Art Center Publishing Co., Portland, OR, 1990)

[11]

"The New Ansel Adams Photographic Series, Book 1, The Camera'', ADAMS, Ansel, ISBN 0-8212-1092-0 (Little and Brown Co., 10-th Ed., 1989). ``Monument Valley'', page 152.

[12] 

À Monument Valley, justement, la première confrontation entre le rêve et la réalité est de découvrir enfin, en vrai, les fameuses « Moufles Droite et Gauche ». Puis vous voyez juste devant vous, du parc de stationnement bondé de voitures, le fameux Rocher Strié -ou bien est-ce un autre rocher juste à côté ? - que la photo d'Ansel ADAMS rend parfaitement net d'un habile coup de Scheimpflug ou de f/64. Déception ! Point de nature vierge... c'était donc simplement au sortir de la voiture... mais quelle tristesse surtout, depuis les années 1940 ce Rocher Strié est sur-gravé de graffiti assez innocents, certes, mais qui prouvent que la « sauvagerie » n'est pas forcément là où on le croit.


© Emmanuel Bigler

 

Emmanuel Bigler 5 novembre 2002

 

 

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