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Eddy Rivière
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l'auteur
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Qu'est-ce qui vous intéresse dans le sténopé ? En premier lieu ce qui m’intéresse dans la photographie au sténopé c’est que c’est un moyen relativement facile de «mettre du temps qui passe» dans l’image. J’aime aussi l’hyperfocale et le travail en grand format. C’est aussi une façon de créer et fabriquer mes propres appareils-photos et de revenir à quelque-chose de très brut du genre « le marteau et le burin du tailleur de pierre ». Toutes mes chambres ont été réalisées en fonction de l’environnement dans lequel j’allais travailler et c’est pour cette raison qu’elles ont une forme de pyramide tronquée (ce qui me donnait la possibilité de travailler sur des sur faces irrégulières tout en trouvant trois points d’appui). Lorsque je construis mes chambres, je commence à être l’appareil-photo, à voir à sa place ; c’est un moment très important pour moi ; je n’ai aucun système de visée et pourtant je n’ai jamais recadré aucune de mes images. Je me trompe parfois au cadrage c’est sûr, mais grâce à la phase de construction je fais corps avec mes outils et lors de la prise de vue j’ai l’impression de voir « avec mon ventre ». Cette relation physique avec mes sténopés m’apporte un sentiment profond et très particulier que je n’ai jamais ressenti avec des boitiers conventionnels.
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Pourquoi le résultat est-il exposé en négatif ? Au début de mon travail je ne pensais pas travailler en négatif. Le travail en direct sur papier me permettait, d’une manière plutôt économique, de voir comment ma première boite fonctionnait. Au fur et à mesure de mes essais, l’image en négatif a commencé à me plaire car elle me rappelait les photographies de Séméniako ; de plus, étant issu d’un mouvement « rock underground », le côté sombre de l’image me convenait ; j’ai alors développé ma technique et ma chambre afin de rendre le négatif plus lisible avec une palette de gris plus large. Une fois satisfait de mes résultats j’ai construit mes 9 chambres : 4 de 20x25, 4 de 30x40 et une de 50x60. Le travail est lent car chaque chambre ne réalise qu’une seule image à la fois et le passage au labo est obligatoire pour les décharger et les recharger. C’est avec les photographies issues de ces chambres que j’ai fait mes premières expositions, mais il m’a fallu près de deux ans afin d’avoir une production suffisante en qualité et en quantité.
D'où vient cette envie de s'attaquer à du sténopé géant ? L’envie de faire des chambres géantes a toujours existé. J’avais l’exemple de Felten et Massinger qui, grâce à leur caravane, réalisaient de grands formats en positif couleur. Avant de commencer à travailler j’avais rédigé un document donnant les grandes lignes de ce que je voulais réaliser et les formats géants en étaient l’objectif final. Lors d’une exposition aux Herbiers (Vendée) on m’a proposé d’investir le troisième étage d’un donjon pour y réaliser une image de 180cm x 100cm. C’était ma première réalisation du genre et j’ai pu constater de la difficulté de l’opération.
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Pourquoi dans ce lieu précis ? Au départ de ma pratique, je ne savais pas ce que j’allais photographier : je savais pourquoi mais je n’avais pas vraiment de sujet pictural déterminé. J’ai fait des images en milieu urbain, j’ai fait des portraits et des portraits de groupes mais tout ceci ne me convenait pas vraiment. Un des directeurs de filières de Paris VIII nous disait que pour répondre aux problématiques il ne fallait pas imaginer des projets aux antipodes : il fallait que dans les cent mètres qui suivaient notre porte d’entrée nous puissions trouver un sujet pictural pour répondre aux questions et c’est ce que j’ai fait. La petite rivière qui passait à quelques kilomètres de chez moi m’offrait un sujet toujours disponible et j’ai commencé à y travailler. Le Moulin de la Roche a été un de mes premiers spots et lorsqu’en 2006 j’ai eu l’idée de traiter les saisons j’étais dans la rivière face au moulin. La chaussée du moulin, ainsi que la passerelle, allaient être restaurées et c’était une bonne occasion d’imaginer un tel projet dans ce lieu. Le paysage que je montre comporte de multiples traces temporelles : un chaos granitique préhistorique (coteau), une voie romaine du 5ème siècle sur la rive opposée, un pont de pierre et une ruine de moulin (dans la rivière) du 14ème, une chaussée du 19ème et une passerelle du 21ème. A partir de cette constatation sur l’accumulation des traces du temps le traitement des quatre saisons était une évidence. Le moulin était à l’abandon à l’époque ; j’ai contacté le propriétaire en lui expliquant mon projet, il s’est montré très enthousiaste et m’a laissé accéder à son moulin pendant les deux ans du projet.
Quelles ont été les grandes étapes du travail ? La première étape a été de trouver le financement nécessaire pour la réalisation technique et la résidence dans un atelier loué à cet effet. Le financement du projet a été possible grâce à une association qui s’est mise en place autour de cette aventure et qui m’a permis d’obtenir des fonds privés et publics. Ce type de projet commence avec une grande page blanche : non seulement il fallait construire la chambre mais aussi inventer un laboratoire capable de traiter des images de 250cm x 130cm. L’ensemble a été construit avec de la bâche agricole et des morceaux de bois, des vis et du gaffer pour tenir tout ça...et une canette de soda pour le sténopé. Une fois la chambre construite, j’ai commencé des tests d’exposition que j’ai réalisés sur des papiers de petite dimension. Parallèlement à ces tests j’ai affiné mon cadrage (de l’intérieur de la chambre...) et lorsque j’ai été satisfait de celui-ci j’ai tout vissé au moulin : il ne fallait pas que le fond support papier et le vantail sténopé, qui étaient indépendants l’un de l’autre, puissent bouger pendant l’année qui allait suivre. J’ai été tributaire de la météo dès le printemps car cette année-là celui-ci a été véritablement pourri. Il fallait aussi que les saisons se démarquent bien les unes des autres pour que l’effet visuel soit remarquable entre chaque photographie.
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Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Avec ce genre de procédé, ceux qui l’utilisent le sauront, il n’y a que des difficultés car rien n’existe et il faut tout inventer. Je ne suis pas un grand technicien et tout a été fait empiriquement jusqu’à l’obtention de l’image définitive. La principale difficulté de ce travail a été de trouver les bons temps de pose en fonction des saisons. Aucune des quatre réalisations n’a commencé à la même heure et n’a eu le même temps de pose. L’exemple le plus parlant à ce sujet est survenu dès le départ : en hiver j’ai eu un temps de pose de trois heures alors qu’au printemps le temps de pose est monté à six heures. Entre chaque saison je réalisais des tests sur des petits formats pour être au plus près du temps de pose idéal. Pour moi le temps de pose idéal est celui où, lorsque le papier est en révélation l’image monte et s’arrête toute seule. Je travaille à la limite de la surexposition et parfois j’ai vu mes photos apparaitre...puis disparaitre ! Pour faire les « Quatre Saisons » j’ai fait 32 photos en grand format et chaque photo m’a demandé trois jours de travail entre le début de la prise de vue et la fin du séchage. Le développement des photos a été relativement compliqué à mettre en place. Ayant connu des problèmes de régularité de développement dans des cuves-gouttière lors de ma première expérience j’ai mis au point une technique de développement sur table inclinée à l’aide d’un arrosoir. J’ai répété mes gestes pendant des jours et des nuits jusqu’à avoir le geste parfait car l’erreur n’est pas permise lorsqu’on est au-dessus du papier argentique avec un arrosoir pesant plus de 10 kilos. Ne disposant d’aucun moyen technique approprié, le lavage et le séchage du papier m’ont demandé eux aussi beaucoup d’attention. Le papier utilisé était un Ilford multigrade FB et il fallait qu’il sèche très doucement sous peine d’avoir des photos toutes gondolées. Lorsque les quatre photographies ont été réalisées je les ai fait coller sur Dibon chez Picto.
Quels ont été les meilleurs moments de tout ce processus ? 18 mois de bonheur ! A chaque fois que j’entrais dans la chambre et que je voyais l’image inversée sur mon fond j’étais émerveillé. Cette lumière grise et colorée, semblable à celle d’une éclipse de soleil, est incroyable. J’ai eu de nombreux visiteurs, dont une classe de lycéens (comme on peut le voir dans le film réalisé à cette occasion http://www.dailymotion.com/video/x9cess_quatre-saisons-au-stenope_creation), et ce qui m’a marqué le plus lors de cette visite c’est leur silence ébahi lorsque j’ai ouvert le sténopé et que l’image est apparue sur le fond. Lorsqu’on est dans la chambre, dans l’appareil-photo, on est dans un autre univers, cela procure un frisson et c’est fantastique !
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Ne pensez-vous pas que la fascination pour le procédé l'emporte sur le goût pour l'image ? Il est sûr que le procédé et la technique sont fascinants, et quelle que soit l’image que l’on souhaite réaliser, l’utilisation de la chambre à sténopé est en soit une autre façon d’appréhender la photographie. Pour ma part, le paysage est un sujet qui me convient tout à fait et je m’y sens bien car je m’y retrouve. Le paysage est toujours disponible pour être photographié et il suffit juste d’attendre le moment opportun. Pour moi la patience est un atout chez le photographe et le paysage est un sujet qui rend patient.
Quel est le devenir de ce travail ? Les « Quatre Saisons » ont été présentées par deux fois en exposition mais aujourd’hui l’œuvre est dans sa caisse et elle me manque. J’aimerais trouver de nouveaux lieux pour montrer cette réalisation ; je profite donc de cet article pour mettre en avant ce travail qui, à ma connaissance, n’a jamais été réalisé.
Avez-vous d'autres projets en sténopé ? Les « Quatre Saisons » sont le résultat d’une démarche de plusieurs années de travail au sténopé. J’ai des projets de même nature dans mes cartons mais depuis deux ans je continue mon travail sur le paysage par une autre technique : l’assemblage numérique. Mes travaux à la chambre à sténopé géante m’ont donné le goût de la haute définition et l’assemblage numérique me permet d’y accéder par un autre procédé.
Sur le sténopé, voir aussi :
arnaud thurel : la Grande Motte
dernière modification de cet article : 2015
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