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l'auteur

 

Yves Louagie



Né le 5 février 1951 à Bruxelles.
Formation chirurgicale aux cliniques Saint-Luc de Bruxelles.
Carrière de chirurgien cardio-vasculaire et thoracique aux cliniques universitaires de Mont-Godinne.
En marge de cette activité, il connaît depuis l’âge de 12 ans une passion pour la photographie argentique puis numérique (Ten days in China, Nuit blanche, La pluie et le verseau, éd. Avant-Propos). Il développe un intérêt grandissant pour l’écrivain Michel de Montaigne dont il réalise une biographie illustrée (Montaigne, de pierres et de lettres, éd. Avant-Propos, 2013).
Depuis 2012, il étudie sur place l’itinéraire du voyage en Pays germaniques et en Italie effectué en 1580-1581, ce qui donnera lieu à un ouvrage en plusieurs volumes intitulé « l’Odyssée de Monsieur de Montaigne », en voie de publication.
L’accès à l’éméritat lui a permis d’élargir son activité photographique à la chambre grand format.

yves.albert.louagie@proximus.be

 

 


Voir aussi :
Les paysages de Montaigne
par Yves Louagie

 

Un essai d'une
Arca-Swiss F-Classic 4x5"

par Yves Louagie

En un demi siècle de révolution numérique nous avons vécu une avancée équivalente à celle de la découverte de l’écriture et de l’imprimerie. Les négatifs argentiques que je développais à l’âge de douze ans avec des produits chimiques parfois toxiques sont devenus des mosaïques de millions de pixels immédiatement disponibles et d'une incroyable qualité. Je me suis pourtant laissé tenter par la chambre photographique. Non par nostalgie d’un passé que je ne regrette absolument pas, mais par réalisme, fasciné par la grande surface sensible des négatifs analogiques. En effet, le recours à des techniques simples et éprouvées associé à l'expérience acquise en numérisation permet d'obtenir des images d'une rare perfection, d'intégrer les subtils dégradés argentiques aux possibilités infinies du numérique.
L‘une des premières scènes du film « la grande bellezza » de Paolo Sorrentino (2013) est tournée au mont Janicule, sur le belvédère de la Fontana dell’Acqua Paola. Un touriste japonais descend de son autocar, un appareil reflex à la main. Il s’avance vers le parapet et prend quelques vues de Rome. Puis il s’effondre, manifestement mort. Surplombant les lieux, dans l’imposant monument baroque de la fontaine, le chant d’une chorale se mêle à l’écoulement des eaux cristallines. Peu après, l’acteur Toni Servillo incarnant le personnage de Jepp, un journaliste et dandy romain, constatera : « La plus grande découverte que j'ai faite après mon soixante-cinquième anniversaire, c'est que je ne peux plus perdre de temps à faire ce que je n'ai pas envie de faire »[1].

Le matériel

N'ayant donc que peu de temps à perdre, je me suis orienté d’emblée vers une chambre Arca-Swiss de construction récente et solide, évolutive, d'une finition irréprochable et dont toutes les pièces sont aisément remplaçables. La formule F Line classic 4 × 5 “ dotée d'un objectif Rodenstock « normal » Sironar N permet d'aborder la photographie de paysage avec les contraintes du milieu naturel. En effet, cet appareil monorail relativement compact est le plus léger de sa gamme (3,162 kg). Ses contours forment un parallélipipède de 30 × 30 × 20 cm permettant le transport en sac à dos de grande taille (Lowepro BP 550 AW II aux dimensions internes de 46 x 31 x 17 cm) pour les longues randonnées à travers champs ou dans un sac de voyage de moyen format pour les escapades en ville. La rotule Z1+ s’articule avec un trépied en carbone Sirui AM 254 solide et léger.

Passé l’émoi de la découverte et de la communion avec le paysage, la photographie à la chambre requiert une extrême précision dans la mise au point et le cadrage[2], l'application d’une froide et lente systématique. Elle nous fait revivre la séquence des angoisses anciennes : il n'y a pas de vérification possible et toute distraction se paie lourdement ; chaque étape oubliée peut conduire à la ruine du film qui, le plus souvent, ne sera constatée qu’au développement. Mais il est un piège dans lequel on peut tomber même après avoir acquis un semblant de routine : le châssis contenant le négatif s'introduit dans l'adaptateur porte-film théoriquement par un seul de ses petits côtés. Comme il est maintenu en place par des languettes à ressort qui peuvent s'écarter de plus de 5 cm, il est encore possible de l’introduire sans trop de difficultés par le côté opposé[3]. Cela conduit à une coaptation défectueuse du châssis sur le corps de la chambre et à l'introduction de lumière. Il faut, pour les mêmes raisons, éviter d'enlever la languette protectrice du film d'un grand geste ample. La simple traction de la languette vers l'arrière peut en effet écarter imperceptiblement le porte négatif du corps de la chambre et ruiner la pellicule en une fraction de seconde. Il convient donc de retirer attentivement cette lame métallique dans l'axe du châssis en appliquant une contre-pression sur celui-ci.


arca-swiss-f-classic-4x5 : un essai
Mise en place de la chambre

 


Première visée.


Le Sironar N de 150mm est en place. C'est un petit objectif, extrêmement résolu, mais à faible cercle d'image. On préférera faire les mouvements à l'arrière.

 


Une rotule Z1+ en Classic est un excellent choix pour la F-Classic 4x5". La mâchoire Classic mord directement la partie basse du rail ; l'ensemble est très rigide et la chambre ne risque pas de tourner sur sa fixation.

 


La chambre est livrée d'origine avec un dépoli et une Fresnel pour gagner de la lumière à la visée. Toutefois il faut absolument conseiller un viseur, ne serait-ce que pour avoir une vision redressée haut-bas du sujet.

 


En bas un pied carbone assez léger mais déjà suffisant.
Au-dessus la rotule Z1+Classic avec son bouton de réglage. Puis, plus haut, la fixation Classic qui mord la base du rail.

 


A droite : les deux réglages micrométriques pour avancer/reculer les chariots avant/arrière ; les deux mollettes les plus proches du rail sont les verrous.
A gauche, la bascule avant et son verrou (en gris)
On notera que le décentrement horizontal est obtenu par glissement gauche/droite sous le dépoli. Ce mouvement est bloqué par la pince sous le dépoli.
En dessous on voit la graduation d'angle de la bascule latérale.

 


Une vue du Sironar N, un objectif très efficace pour ramasser du Pixel quand on en veut beaucoup et qu'il n'y a pas de mouvements à faire, mais inadapté aux forts mouvements en architecture. On lui préférera alors son grand frère en 150mm, l'Apo-Sironar W, qui ouvre lui aussi à 5.6, mais couvre jusqu'au 5x7" et permet de réserver le plan arrière pour redresser les verticales.

 


Plan avant et arrière présentent rigoureusement le même mécanisme.

 

Ci-dessus : le rail supérieur se sépare en deux et coulisse de part et d'autre, permettant un allongement maximum de 45cm.
De part et d'autre les leviers de blocage des deux parties.

 


La chambre est livrée sans butées de rail. Je conseille à tous les futurs acheteurs de prendre en plus de la chambre une paire de rail-stops (ref 044111 sur www.arca-swiss-magasin.com)

 


La mécanisme d'inclinaison de plan avant avec ses verrous.
Le bouton rond est le verrou de blocage de la bascule d'axe vertical (pour le Scheimpflug de mur). Le levier gris à sa droite est le verrou de blocage de la bascule d'axe horizontale (pour le Scheimpflug de sol).

 


Une vue de la Z1+ avec son panoramique à la base. La Z1+ est une rotule assez grosse, bien adaptée aux chambres monorail. Elle garantit des prises de vue sans vibration.

Les images

Les prises de vues ont été réalisées sur le Site Corot de Saint-Junien (87). Peu importe que le peintre n'y ait jamais mis les pieds, le paysage est d'une grande beauté et idéal pour la chambre.

La première vision des négatifs noir et blanc puis leur acquisition au scanner[4] ont produit sur moi un effet intense : je n'avais jamais vu ni espéré une telle finesse, tant de netteté, de si riches dégradés. Ces images dépassent toutes mes espérances.

Il faut cependant admettre objectivement quelques faiblesses. Sur six plaques - le contenu maximal d'une cuve à développement de type Jobo - réalisées à titre d’exercice, les quatre premières semblent pleinement réussies, mais les deux dernières sont problématiques.

Sur la première, l'une de mes préférées, la rivière se déploie dans toute sa beauté, en un cours soyeux contrastant avec le rendu détaillé des rochers. L’application de la loi de Scheimpflug permet de centrer la précision sur l’ensemble du plan aquatique tout en réservant un certain flou à la végétation.

 

site corot à St-Junien

   

Le site Corot - ©Yves Louagie

La seconde image dévoile une Glane plus calme, un plan d'eau bien lisse au milieu d’une végétation conservant toute sa netteté, avec des troncs révélant toute la belle texture de leur écorce.



Site Corot à Saint-Junien

   

Le site Corot - ©Yves Louagie

La troisième plaît également en raison de la gradation en escalier qui structure la petite chute et la berge. Le plan d'eau, d'une grande finesse, paraît animé.



Le site Corot à Saint-Junien

   

Le site Corot - ©Yves Louagie

La quatrième image est un exercice de Schempflug appliqué au plan d'eau et au rocher. L’encadrement d’arbres achève la théâtralisation.


le site Corot à Saint-Junien

   

Le site Corot - ©Yves Louagie

L'avant-dernière se voulait une application de la loi de Schempflug à l'escalier en rondins. Pour cela l'image paraît réussie, mais ma main placée en pare-soleil dans le coin supérieur droit a tout ruiné. Il a fallu recadrer en déplaçant le centre de gravité, limitant l’espace à droite de la concavité formée par les gradins.


Site Corot à Saint-Junien

   

Le site Corot - ©Yves Louagie


La dernière image a été amputée de ses côtés latéraux en raison de bandes opaques apparues au développement. Il en résulte une image carrée plus simple sacrifiant un petit groupe d’arbres à droite. Elle reste cependant viable : les rochers ne ressortent que mieux au milieu du fouillis luxuriant des branches et des feuilles.


Site Corot Saint-Junien

    Le site Corot - ©Yves Louagie

Conclusion

D'une qualité de fabrication exemplaire, la chambre Arca-Swiss F Classic 4x5" est une chambre généraliste pour le paysage.

Offrant les mouvements de base, tous très bien différenciés les uns des autres, c'est une chambre qui, quoique universelle, reste relativement légère. Elle peut donc tenir dans un sac à dos et être facilement emportée sur le paysage. On y adjoindra un pied carbone, pour rester dans la légèreté.
C'est une excellente chambre pour commencer avec le meilleur en grand format.

Pour :
- excellence de la fabrication
- très bonne rigidité
- mouvements tous différenciés
- légèreté pour une chambre monorail

Contre :
- Avec la chambre seule, le contrôle de l'image reste difficile. Nous recommandons d'acheter systématiquement le viseur grossissant 4x5" ref 161004 et la protection d'œil ref 161013. On trouvera ces accessoires ici :
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d28_accessoire-visee-chambre-photo.html
Ce viseur Arca-Swiss permet une vision magnifique du sujet à photographier. Très inspiré du viseur Sinar que les utilisateurs de Norma connaissent bien, il est un peu moins complet que ce dernier, puisqu'il n'offre pas le système de miroir amovible interne, qui permet d'aller chercher plus de lumière sur les côtés quand l'objectif vignette un peu. Toutefois on utilise peu ce système sur le viseur Sinar, et c'était un système très fragile, à fil et à poulie. Le viseur Arca y gagne donc en solidité, ce qui est très heureux. Soulignons également que la loupe amovible qui permet un excellent contrôle de la netteté a, elle, été reprise. Et c'est un élément essentiel du viseur, pratique quand on est jeune, et indispensable quand on prend de l'âge.

Caractéristiques techniques

Chambre monorail 4x5 inches.
Construction entièrement métallique.

Banc optique télescopique de 30cm, extensible à 45 cm, composé de deux monorails coulissant sur un support, avec serrage rapide.

Soufflet standard 38 cm interchangeable par des soufflets plus courts ou plus longs.

Planchettes 141 x 141 mm.

Mouvements du corps avant :
- Décentrement vertical : 50mm vers le haut, 50mm vers le bas.
- Décentrement latéral : 50mm vers la droite ou vers la gauche.
- Bascule verticale (à la base): 35° vers l'arrière, 35° vers l'avant.
- Bascule latérale : seulement limitée par le soufflet.
Mouvements du corps arrière :
- Décentrement vertical : 50mm vers le haut, 50mm vers le bas.
- Décentrement latéral : 50mm vers la droite ou vers la gauche.
- Bascule verticale (à la base) : 35° vers l'arrière, 35° vers l'avant.
- Bascule latérale : seulement limitée par le soufflet.

Dos international (Graflok)
Verre de visée dépoli quadrillé avec Fresnel intégré.

Composition :
043130 Banc optique 30 cm
052000 Support F -classic avant
052001 Support F -classic arrière
062004 Cadre F -classic 141 / 4x5, avant
062003 Cadre F -classic 141 / 4x5, arrière
080006 Adaptateur de châssis 4x5N
072041 Soufflet standard 4x5“, 38cm, synthétique.

Poids de l‘appareil complet : 3.4 kg.


Notes

[1] Attention, ce film ambigu divise. Outre qu’il ne raconte rien de précis, mais dévoile les facettes toujours surprenantes de dizaines de vies, des scènes assez hédonistes voisinent avec la beauté la plus pure. Je me suis fait des ennemi(e)s en le prônant. Il est sûr, cependant, que tous les mélomanes s’accorderont sur les « Béatitudes » de Vladimir Martynov.

[2] En l’absence d’une optique de visée adaptée, je ne saurais assez conseiller l’utilisation d’une chape large et opaque munie d’une frange de Velcro permettant une fixation assez étanche au soufflet.

[3] Signalons à ce propos que le système universel graflok qui forme l’adaptateur porte-film admet le récent support LomoGraflok 4 x 5“ (5 cm d’épaisseur) qui permet la production d’une image Polaroïd Fuji Instax Wide couleur ou noir et blanc au format 6 x 10 cm.
Le dos Lomograflok s’adapte à la chambre 4 x 5 et permet de développer des films Fuji Instax wide couleur et NB en petit format 6 x 10 cm. La qualité des films reste celle du Polaroïd en dépit des conditions de prise de vue. Ils sont fréquemment sous-exposés et il ne faut pas hésiter à surexposer de un à deux stops. Ce format est à réserver à mon avis à des portraits festifs.
Par ailleurs le dos Lomograflok est épais de 5 cm, équivalent à environ quatre châssis. Il ne peut donc être introduit qu’à frottement dur, ce qui risque à la longue d’endommager le système de fixation. De plus, il faut pour chaque photo introduire un cadre pour adapter la mise au point et le cadrage au nouveau format. Ce cadre est ensuite remplacé par l’épais Lomograflok pour la prise de vue. L’émission de la photo est empêchée par le système de fixation et nécessite de retirer le Lomograflok. Bref, il y a de nombreuses manipulations potentiellement dommageables.
J'ai de ce fait commandé pour ma chambre Arca Swiss un autre adaptateur 080006 porte-film 4x5" seul (148,5 x 148,5 x 17) qui permet de fixer le Lomograflok dans les glissières pour y retirer les deux tigettes à ressort qui appliquent le verre dépoli, mais empêchent la sortie du film de la boîte. Ainsi, après une première mise au point, le dos de l’appareil peut rester en place pour des développements successifs ; voici quelques photographies de ce dispositif aujourd'hui parfaitement fonctionnel :

lomograf

Photo 1. Un appareil Polaroïd Fuji Lomograflok épais de 5 cm est introduit dans le porte-châssis. L’émission de la photo au niveau du côté supérieur de la boite est empêchée par le système de fixation et nécessite l’extraction du Lomograflok. Le processus doit être répété à chaque prise de vue.

lomograf

Photo 2. L’adaptateur 080006 porte-film 4 x 5" simple, dépourvu du verre dépoli et de ses tigettes de fixation à ressort. Le Lomograflok lui sera fixé par quatre glissières qui coulisseront de part et d’autre du boitier dans deux rails longitudinaux.

lomograf

Photo 3. Avec un tel montage, les instantanés peuvent être produits et éjectés sans difficulté. Si la prise de vue suivante ne nécessite pas de nouvelle mise au point, l’objectif peut être immédiatement activé et un autre cliché réalisé. Lorsqu’un recadrage et un réglage de focale sont requis, le bloc boitier-adaptateur peut être aisément détaché du cadre arrière et remplacé tout aussi simplement par le système de fixation complet dans lequel est inséré un cadre spécifique fourni avec le boitier de développement.

lomograf

Photo 4. Vue interne du Lomograflock fixé à l’adaptateur. Le rectangle de prise de vue est parfaitement dégagé.

 

[4] Epson V 850 Pro à une résolution encore modeste de 600 ppp. Le poids des images non recadrées varie de 114 à 132 Mo.



dernière modification de cet article : 2022


 

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