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l'auteur

Gabriel Ramon

Né à Troyes en 1948
Licence de lettres (IPES) à Nancy
 puis études de photographie
à la faculté de
Marseille Saint-Charles (1977-79)
Emigre en 1980 à Palma de Majorque
et y monte un studio de photographie
Pratique commercialement
le portrait en n&b
ainsi que la photographie d'architecture
et la reproduction d'œuvres d'art
(en numérique depuis 2004).

studio(at)gabrielramon.com
http://www.gabrielramon.com/
 

 

 

 

 

 

Gabriel Ramon

 


Anna, Pilar, Pepe i Lluc © Gabriel Ramon (2005)

 

Galerie-Photo : Comment êtes-vous venu à la photographie ?

Rien dans mon milieu ne me prédisposait à être photographe. Aussi loin que remontent mes souvenirs je crois que j’ai fait mes premières images quand je me suis retrouvé vers 15 ans interne dans un nouveau collège après avoir été expulsé du lycée de Troyes ; je me souviens avoir photographié mes copains lorsqu’ils étaient interrogés au tableau. Je me croyais très malin quand je toussais au moment du déclic pour passer inaperçu. Peut-être avais-je déjà trouvé ce moyen pour favoriser mon acceptation sociale dans un milieu nouveau pour moi. Je me souviens aussi d’une projection publique (dans ce même collège) de mes diapos d’un voyage scolaire dans les aciéries de Lorraine. Après plus rien je crois.

Quand bien plus tard j’ai démissionné de l’Education Nationale j’habitais à Toulon et j’étais fasciné par la vitrine des sœurs Theret (portraitistes nb). Je n’ai jamais osé entrer, sauf bien plus tard, alors que j’avais déjà mon studio à Palma. J’étais très introverti à l’époque. J’avais un petit labo dans un placard, je faisais des images vides de toute présence humaine et je me sentais très malheureux.

Puis j’ai appris par hasard qu’il existait à l’Université de Marseille un nouveau département de photographie. L’entrée se faisait sur concours suivi d’un entretien. J’y suis resté deux ans, je n’ai pas obtenu le diplôme, mais j’y ai appris à montrer mes images. J’ai aussi eu l’occasion de rater les développements des stagiaires aux rencontres d’Arles de 78. J’ai pu y faire un stage (gratuit, en échange des travaux de labo) avec Shuji Terayama (“Jetons les livres et sortons dans la rue”). C’est le seul contact que je n’ai jamais eu avec un autre photographe, mais il m’a énormément marqué.

Plus tard j’ai compris qu’en dépit des apparences, j’avais une très grande confiance en moi- même pour avoir coupé tous les ponts et m’être lancé dans l’inconnu.

 


Dolors i Jaume © Gabriel Ramon (2002)

 

 

Galerie-Photo : Qui sont ces personnages sur les photographies ?

Ce sont tous des clients, aussi curieux que cela puisse paraître, même Carolina, sommelière de son métier, qui est venue me voir avec une reproduction de la Venus de Velazquez en me demandant si je pouvais la photographier ainsi. C’est aussi une des rares images que j’ai jamais faite demandant un minimum de préparation. (Je ne me souviens pas du tout d’où peut bien provenir ce miroir.)

La photographie de la mère et ses trois enfants est vraiment un instantané, la composition est encore un peu boiteuse, l’une des petites filles projette son ombre sur le visage de sa sœur ; je suppose qu’ensuite je suis intervenu pour modifier leur placement dans l’image. Mais il fallait impérieusement que j’appuie à ce moment sur le déclencheur …

Dolors i Jaume : c’est une image comme je suis appelé à en faire beaucoup au studio ; ici mon choix final a peut-être été guidé par le fait que je ne perçois aucune tension entre la mère et son fils, l’image est calme, aucun des deux ne vampirise l’autre, cet angle du studio est un refuge.

Isabelle : je suis propriétaire de ma photographie, ma cliente l’est de son image ; il y a parfois antagonisme et je n’ai pas toute liberté de montrer mon travail. Je dois accepter cet état de fait, même si ce n’est pas toujours facile. Ici j’ai secrètement aimé ce visage dans l’ombre, ce qui est une exception pour moi qui refuse toujours l’anonymat du modèle dans ce genre d’images . Le contrat était qu’elle offrait son corps, mais dans presque toutes les photos faites au cours de cette séance je n’ai pu faire l’impasse sur le visage. Je déteste ces genres photographiques que sont “le nu” ou la “photographie de charme” mais je suis très attiré par la pornographie qui ne cache rien, pas même les visages. Un jour j’aimerais pouvoir montrer toutes ces images qui dorment dans un coin.

Dulce : il ne s’agit pas d'une photographie préméditée ; je suppose que je désirais mettre l’emphase sur son cou, très long; et puis est apparue la pince, la raie dans les cheveux et tout s’est organisé spontanément. (Je confesse que mon idéal féminin resserre ses cheveux en un chignon sévère ; je m’ingénie toujours pour satisfaire mon fantasme). Ce n’est que plus tard que j’ai reconnu dans cette photographie l’idéal féminin de la Renaissance. Je fonctionne avant tout avec mon inconscient, ce qui invalide à mes yeux toute idée de “protocole“ dans une prise de vue de portrait. Je n’ai aucun rite ni aucun plan établi dans ces situations. La plupart du temps c’est au moment de la prise de vue que que je découvre mon modèle, ne me chargeant pas personnellement de donner les rendez-vous. Je pars à chaque fois d’une page blanche.

Ces rencontres sont pour moi des moments très violents, je suis obligé d’assumer toutes les situations imaginables ; j’ai dû apprendre donc à avoir une vision positive sur toute personne. Rechercher ce que j’appelle l’élégance dans un corps ou un visage et être persuadé que tout le monde en est capable. Je souhaite aussi que l’on me regarde ; j’existe parce que je suis photographe. Dans la mesure du possible j’évite aussi de savoir la fonction ou le statut social de ces personnes, par crainte peut-être de me sentir conditionné. Je photographie des hommes, des femmes, des petits d’hommes, des couples, des groupes d’humains. Il arrive bien sûr que mon travail consiste à représenter une fonction ; j’assure ainsi la postérité des doyens des collèges d’ingénieurs, d’économistes etc. Au fil des années j’ai pris conscience de l’importance de ces séances pour les gens qui viennent me voir; je le vis comme un engagement moral de ma part, une sorte de contrat qui ne me donne pas le droit à l’échec. Je vis la crainte de décevoir comme une tension permanente. Ma timidité disparait très vite dès que commence la séance. Je suis très directif, mais c’est ce que les clients attendent de moi ; je considère qu’ils ont fait le plus difficile en franchissant la porte du studio, c’est à moi donc de les prendre par la main tout en essayant de comprendre ce qu’ils ne me diront pas avec des mots.

 


Carolina © Gabriel Ramon (2001)

 

Galerie-Photo : Quelles sont vos influences en photographie ? (photographes, peintres...)

Je n’ai pas de conscience immédiate d’influences au moment de la prise de vue ; il s’agit presque toujours de découverte à postériori. Ce n’est qu’après que j’ai compris le pourquoi du portrait du peintre Velsha assis : probablement une réminiscence d’Eisenstein, Yvan le Terrible.

Si je me réfère à mes préférences elles sont classiques, ce sont un peu celles de tout photographe ; disons peut-être que j’ai retenu de Newton que l’on peut tout représenter, que la pire des choses pour une image est d’être ennuyeuse et que l’on ne doit être arrêté par rien au moment de photographier.

De Penn j’ai appris qu’il y a de l’élégance dans toute personne.

De Diane Arbus que l’on doit tomber amoureux de son sujet.

Il m’est arrivé d’avoir par surprise une émotion très forte devant des Degas au musée d’Orsay.

J’ai été longtemps en contact avec une personne, amateur d’art à ses heures et médecin dans la vie ; il m’a appris à aimer et connaître Velázquez pendant ses longues démonstrations passionnées, à contre-courant des opinions admises. Je sais grâce à lui ce que représentent réellement “Les lances”, “Les fileuses”, “Jésus dans la maison de Marthe et Marie”. La critique officielle y vient doucement, très doucement…

Il y a beaucoup à apprendre aussi de la danse pour photographier des corps.

Je ne sais pas dans quelle mesure la littérature peut influencer ma pratique ; c’est je crois Maupassant, Melville, Stevenson, Céline, Nabokov, Alvaro Mutis, Brassens, Gainsbourg et bien d’autres écrivains qui ont le plus marqué ma vie.

 


Isabelle © Gabriel Ramon (2007)

 

 

Galerie-Photo : Tentons un résumé : Vous pratiquez une photographie tournée vers le corps, sensuelle et dépouillée, avec une forte intention d'inscrire la ligne dans l'espace...

Je me sens très flatté de ce résumé, mais comme je n’ai pas de discours pour accompagner mes images je m’en tiendrai là.

J’ajouterai quand même que le cadre tient la première place dans mes portraits ; je ne démarre vraiment la séance que quand je sens un début d’organisation devant moi ; ce qu’on appelle “l’expression” s’établit de soi même. Ce que j’appelle le cadre n’est pas nécessairement fixe, je bouge beaucoup. Mais parfois aussi c’est le cadre qui est fixe et les sujets mobiles ; je laisse faire le hasard… au labo je n’interviendrai plus sur ce cadre. Tant qu’il m’est possible d’épurer l’intérieur de ce cadre je continue à chercher; j’essaie d’obtenir les images les plus simples possibles. Une séance est une rencontre très brève, 30 ou 45minutes, rarement davantage.

 

 


Dulce © Gabriel Ramon (2003)

 

Galerie-Photo : Pourquoi le noir et blanc ?

C’est le laboratoire qui fait que je me sens l’auteur d’une image. Pendant la prise de vue j’ai très peu conscience de ce que je fais, tout va très (trop?) vite. Le labo c’est la montée progressive de l’image, c’est prendre le temps de la découverte. J’ai besoin de ces heures dans l’obscurité pour m’approprier l’image. C’est souvent long, un peu douloureux parfois. Ce sont aussi les seuls moments où j’écoute de la musique.

Au cours de ma vie professionnelle je n’ai jamais accordé la moindre importance de ce point de vue aux diapositives ou archives numériques que j’abandonne bien volontiers aux clients. (J’ai une autre vie dans la photo d’archi et les reproductions pour catalogues d’art). Je conserve religieusement tous mes négatifs noir et blanc, depuis le premier jour. Je précise aussi que je déteste le noir et blanc numérique, ses superficies mortes et son rendu hyper-contrasté-standard-aseptisé ; la dictature du logiciel universel a fait que toutes les images se ressemblent.

Un agrandisseur est un merveilleux professeur de photographie ; il n'y a rien de plus bête qu’une imprimante et son va-et-vient. Je dois reconnaître qu’il me serait impossible de réaliser ces portraits en couleur, il me faudrait travailler avec des maquilleurs, des stylistes, et je serais très loin de l’intimité de mon studio. Je ne connais pas beaucoup de photographes qui possèdent le don de la couleur, à commencer par moi.

 


Velsha © Gabriel Ramon (2007)

 

Galerie-Photo : Quel matériel utilisez-vous (appareils, pellicules, éclairage...)

En matière de portrait la technique des relations humaines est de loin la plus importante et j’avoue ne pas être par ailleurs très passionné par le matériel. Mais je vais me soumettre de bonne grâce à cette question.

Mes éclairages sont simples, simplistes même. J’utilise donc une seule source de flash pour mon sujet (parapluies ou boîte), plus un réflecteur. J’accorde la plus grande importance au fait de pouvoir déplacer ma source dans tous les sens en un seul geste ; j’utilise donc en particulier des rails pour pouvoir dynamiser mon éclairage. (Mais je reconnais que les séances se terminent au milieu d’une salade de câbles électriques qui finissent par rendre tout déplacement impossible).

Je n’utilise (presque) jamais de pied photo non plus pour les mêmes raisons ; je tiens à conserver la plus grande mobilité du point du vue de l’appareil. Je m’efforce pour que la technique ne vampirise pas la séance ; j’utilise le moins d’accessoires possible, mais je ne cache pas spécialement le studio. Je mime parfois ce que j’attends de mes modèles. Je ne les perds jamais de vue et je recharge mes appareils sur le sol devant eux : c’est parfois pendant ces moments de relâchement qu’ils s’expriment le plus ; je sens qu’ils m’envoient des messages gestuels ; à moi ensuite d’essayer de reproduire ces situations. En réalité il s’agit le plus souvent d’un dialogue presque muet, je sais par expérience qu’une conversation très intéressante produit des résultats photographiques catastrophiques.

Les appareils sont des Hasselblad ou des Rollei sl66 ; j’ai toujours aussi un Bronica 4,5x6 à portée de la main, quand j’estime que la situation manque de dynamisme. Presque tout mon travail est fait au 80mm, le reste au 120 (105 pour le Bronica) ; je possède un 150 que je n’ai jamais utilisé.

J’ai besoin d’être très près de mes personnages, parfois de les toucher. Je ne crois pas que me situer à plus grande distance serait plus respectueux, au contraire : plus éloigné, je resterais dans l’ombre, un homme invisible qui donnerait des ordres. Un autre lieu commun serait que la visée directe, à hauteur d’œil soit considérée comme plus agressive que la visée indirecte ; je n’en crois rien, tout est dans l’attitude du photographe. Certains moments pendants lesquels un visage a conscience d’être photographié et s’éternise dans mon viseur sont magiques.

Les flashs sont des Broncolor; un générateur pour le sujet, un autre pour le fond . En usage intensif je dois reconnaître que c’est costaud. Depuis le temps que je pratique le studio en nb je me passe de posemètre ; je ne m’imagine pas placer une cellule sous le menton de mes modèles ni de les viser avec un spotmètre ; mais j’ai toujours le potentiomètre de puissance sous la main pour m’ajuster au diaphragme, en fonction du déplacement de mes sources par rapport au sujet. J’essaie par ailleurs d’utiliser ce diaphragme le plus ouvert possible pour ne pas trop m’éloigner de ce que je vois dans le viseur. Celui des appareils réflex est un beau piège qui prévisualise une image très modelée, avec très peu de profondeur de champ, mais qui sera complètement modifiée par la fermeture du diaphragme ; ce qui était flou deviendra très présent, une sorte d’intrusion dans l’image.

Depuis la disparition de l’Agfapan j’emploie indifféremment de la Fp4 ou de la Tmax 100, mais j’ai conscience qu’elles n’ont pas tout à fait le même rendu. Je vais peut être faire hurler les puristes, j’ai l’impression que la Kodak a un rendu plus linéaire, la Fp4 tassant plus les ombres et détachant plus les valeurs claires, à développement identique.

Si j’avoue ne pas être fétichiste pour les appareils ou la pellicule il n’en est pas de même pour le papier photographique. Quand je suis arrivé à Palma en 1980 j’avais beaucoup de mal à me procurer des surfaces valables ; les produits d’importation étaient hors de prix et je devais me contenter des papiers locaux, disons plutôt des fins de série car ces marques (Valca, Negra) étaient en train de disparaitre. Je me souviens d’un papier que je devais blanchir puis redévelopper pour obtenir un noir à peu près correct ; j’appelais ça un “virage noir”. J’ai pu ensuite réutiliser le Record Rapid que j’aimais tant ; sa baisse de qualité puis sa disparition ont été un gros choc pour moi ; mon travail en dépendait beaucoup. Depuis plusieurs années les choses vont plutôt mieux en matière de surfaces sensibles barytées : un (trop) bref passage à l’Oriental puis au Forte et maintenant le Foma que j’aime beaucoup.

 

 


Cati © Gabriel Ramon (2002)

 

Galerie-photo : Quelles recommandations feriez-vous à quelqu'un de jeune qui se destine à la photographie aujourd'hui ?

Aujourd’hui je ne crois pas que je serais photographe ; les nouvelles donnes de ce métier ne m’attirent pas beaucoup et je doute qu’il soit possible de s’établir sur les bases que j’ai choisies il y a trente ans (J’ai vraiment crevé de faim pendant les dix premières années). Mais s’il fallait donner un conseil je dirais à ce futur photographe d’apprendre à aimer la solitude. J’ai la chance de pouvoir naviguer seul de temps á autre, quelques jours pas plus, sans appareil photo, sans rien à l’horizon, avec seulement le bruit des vagues et du vent.

 

 


Carolina © Gabriel Ramon (2002)

 

dernière modification de cet article : 2010

 

 

 

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