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l'auteur

Jean-Claude Moschetti



Né en 1967 à Antibes
Vit en Bretagne

Photographe indépendant
nombreuses collaborations pour la presse

Aime la musique et les aurores boréales
Vit en Bretagne avec Sophie
Aimerait rester photographe

jeanclaude.moschetti@wanadoo.fr
 

 

 

 

Jean-Claude Moschetti : Egunguns

 

Comment êtes-vous venu à la photographie ?

J’ai eu mon premier appareil photo lorsque j’étais adolescent ; ce n’était pourtant pas un objet familier dans mon environnement proche et je ne sais toujours pas ce qui m’a poussé à faire cette acquisition.
L'envie de faire des photographies est arrivée mystérieusement, subitement, sans raison apparente. J’ai donc commencé à faire des photos assez tôt, vers l’âge de 14 ans.
La photographie est rapidement devenue une obsession, je faisais des diapos, du labo nb, lisais des magazines et photographiais tout ce que je pouvais, j’ai même tenté de faire du Cibachrome de façon très artisanale et approximative. J’avais à l’époque un goût prononcé pour les surimpressions, c’était peut être une façon de réinventer le monde qui s’offrait à moi.
Un peu plus tardivement je me suis intéressé au cinéma, surtout au travail de la lumière et j’ai souhaité devenir chef opérateur. Après le bac, je passe et loupe le concours d’entrée de Louis Lumière mais pas celui de l’Insas en Belgique - qui était d’ailleurs nettement plus abordable. J’ai donc fait trois années à Bruxelles, section «image et vodka». J’ai ensuite un peu travaillé comme assistant opérateur, fait des mauvais choix et pas que des bonnes rencontres. J’ai alors décidé de revenir à la photographie.

Non sans mal j’ai appris à gagner ma vie en faisant des photos destinées la presse. L’envie, le besoin, et la volonté de refaire des images personnelles est revenu bien des années après.

 


Igbalé Irin n’la, Alabèbè blanc. Série "Egunguns» ©Jean-Claude Moschetti

 

 

Où ont été prises ces photographies ?

Ces images ont étés faites en Afrique de l‘ouest, au Bénin pour la série des Egunguns et au Burkina Faso pour la série nommée Volta noire.

Géographiquement le Bénin est un petit pays, mais une terre qui déborde de mystères et de bizarreries religieuses. Il est communément présenté comme le berceau de la culture Vaudou qui s’est répandue outre-atlantique à l’occasion de la traite des noirs. Je me suis rendu une dizaine de fois dans ce pays. J’ai pris goût aux innombrables et incessants récits ou les êtres humains se transforment en animal et les sorciers nocturnes dévorent le cœur de leurs victimes. J’ai appris à ne plus être étonné lorsque la foudre punit un voleur. J’ai appris à voir la mer comme la résidence de déesses maritimes et les cours d’eau comme le refuge de créatures aquatiques difformes. J’ai appris à offrir un peu de Sodabi au Legba et si besoin à murmurer quelques mots au coq dont la tête allait très vite quitter le corps. Je me suis accoutumé à avaler un zest de poudre à canon ou une pincée de carapace de tortue finement moulue, ingrédients réputés, destinés à la protection contre les sortilèges. J’ai accepté l’existence de cet univers parallèle, sans plus me soucier de savoir ce qui est réel ou non.

J’ai donc fait mon apprentissage africain au Bénin, c’est un excellent passeport pour le reste de l’Afrique de l’ouest. La magie béninoise est considérée comme la plus puissante du continent. Je me suis ensuite rendu dans d’autres pays de la région, notamment au Nigeria et au Burkina Faso. Le Burkina est un pays sahélien marqué par des traditions ancestrales liées à l’agriculture dans lesquelles les sociétés de masques jouent un rôle important.

 

 


Igbalè Irin n’la, Taman. Série «Egunguns» ©Jean-Claude Moschetti

 

 

 

 

Qui sont ces personnages ?

Les Egunguns sont des revenants, des ancêtres qui reviennent du pays des morts pour conseiller et juger les vivants. Le culte des Egunguns est pratiqué par les Yorubas au Bénin mais aussi au Nigéria ou il trouve son origine. L’esprit des morts s’incarne et s’exprime par le biais des membres de cette société secrète. Certains Egunguns sont habités par l’esprit collectif des ancêtres d’autres sont l’incarnation d’un individu précis. Le culte des ancêtres nous rappelle que nous ne sommes pas des êtres seuls dans le monde, mais une partie d'un tout, ou sont liés vivants et morts, terre et royaume des ancêtres.

Les masques du Burkina participent à des cérémonies liées au culte de Do. Do est une divinité qui préserve l’énergie vitale de la nature et qui incarne la savane. Ce sont des peuples d’agriculteurs, les masques sortent pour honorer cette divinité et s’assurer ainsi du bon renouvellement des cultures et des récoltes dont ils dépendent

 


Avoun nou ti, Alabèbè. Série «Egunguns» ©Jean-Claude Moschetti

 

 

Quel rapport entretient la population avec ces apparitions ?
Y a-t-il un vrai rapport de peur ?

Les Egunguns sont des personnages conscients de leur pouvoir et n’hésitent pas à en user, ils sont d'humeur instable et imprévisible. Ils s’expriment avec une voix rauque et profonde, une voix d’outre-tombe. Certains sont considérés comme des sages mais d’autres sont facétieux, voir belliqueux et parfois violents. Seul les initiés peuvent accéder aux couvents Egunguns, les rituels, la vie à l’intérieur du couvent doivent rester secrets. La croyance populaire raconte qu’un non-initié qui entrerait en contact avec leurs somptueuses tenues risquerait d’être subitement frappé de mort. Si de nos jours certains émettent des doutes à ce sujet, plus nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas tenter l’expérience.
Les revenants sortent de leurs couvents pour des commémorations privées comme des funérailles ou des naissances, ils sortent aussi sur la place publique pour des célébrations qui prennent alors la forme de spectacles ou se mêlent musique, danses, acrobaties et courses poursuites avec le public. Ces sorties sont très populaires et les habitants des quartiers se pressent pour y assister. Malgré tout les Egunguns inspirent encore respect, curiosité et peur. Il n’est pas rare qu’un revenant qui se sent offensé se mette à tout détruire sur son passage et à frapper ceux qui ne parviennent pas à lui échapper.

La photo de l’Egungun blanc reproduite en ouverture a été faite lors d’une commémoration privée, une sorte de baptême pour nouveau-né. La cérémonie se déroule sur le parvis d’une maison ; le jeune enfant dernier-né de la famille est présenté à son arrière-grand-parent incarné par l’Egungun. L’ancêtre de retour sur terre fait connaissance avec sa descendance et lui apporte alors sa protection. Pour l’événement, l’une des pièces de la maison a été momentanément transformée en annexe du couvent afin de permettre aux initiés d’exécuter en toute discrétion les rituels indispensables à la sortie du revenant. Par inadvertance, un homme extérieur au groupe est entré dans la pièce ; lorsqu’il réalisé son erreur, il a été pris de terreur ; il n'a pas pu sortir et a été capturé par les initiés. Il y a moins d’un siècle cette erreur lui aurait été fatale.

 


Pouni.Série «Volta Noire» ©Jean-Claude Moschetti

 

 

 

 

Pourquoi ce choix du montage en triptyque ?

Au Bénin, le vaudou est partout, le surnaturel se vit au quotidien. Les divinités sont présentes à chaque coin de rue, le sorcier bon ou mauvais n’est jamais très loin. C’est d’abord cette sensation d’étrangeté et de magie que j’essaye de retranscrire dans mes compositions d’images. Il y a une part d’invisible, de mystère, d’immatériel que je cherche à introduire dans les compositions. Le triptyque tel que je l’aborde me semble adapté à cet objectif, il permet de décomposer un espace ou de le reconstruire non pas à l’identique mais en le réinterprétant. Dans l'espace s’inscrit le masque ou le revenant qui se fraye un chemin d’un monde à l’autre. L’absence de mouvement, l’immobilité des personnages renforce aussi cette impression de mystère et de force. Chez les Yorubas, ce lieu de transition est appelé Igbalè. L’Igbalè est un no man’s land sacré qui, traditionnellement, se trouve dans une forêt. Au Burkina Faso la tradition dit que les premiers masques furent trouvés par les anciens dans les forêts puis amenés dans les villages afin d’y être honorés. La forêt, le paysage sont forcément alors un élément récurrent dans ces compositions.

 


Pouni, Buffle et serpents. Série «Volta Noire» ©Jean-Claude Moschetti

 

Quel est votre propre rapport avec ces personnages ? On a l'impression que vous cherchez à rappeler des visions d'enfance ?

Pour répondre, je vais me réfugier derrière les mots d’un autre1 : «I don’t want realism. I want magic Yes, yes, magic !». Il y a une autre phrase que j‘associe volontiers à ces photographies, mais aussi à la vie africaine : «Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas?»2. Ces images racontent indirectement et en silence ce qui se cache en moi - interrogations, craintes, désir d’insuffler dans le quotidien un peu plus de profondeur et d’éclat. Je maîtrise mal les mots, je fais des photos. Au risque de passer pour un extra-terrestre, je confesse qu’il m’arrive de m’interroger sur ce qui est réel ou non, j’ai parfois le sentiment que la vie n’est qu’une illusion. Ces créatures célestes sont peut être les vivants et nous les morts. Je ne sais pas si ces images trouvent une origine dans mon enfance, je ne crois pas.

 


Igbalè Irin n’la, Alabbèbè. Série «Egunguns» ©Jean-Claude Moschetti

 

 

 

 

Quel matériel utilisez-vous et quelles sont les contraintes pour un sujet pareil ?

Pour le matériel, j’utilise principalement un Mamiya 7 II avec un 80mm.
Je promène aussi une vieille chambre 4X5 mais je ne suis pas à l’aise avec cet outil qui de plus est mal adapté aux conditions de prises de vues : la pression extérieure est toujours suffisamment forte pour que les photographies soient faites le plus rapidement possible. Les revenants ne sont pas forcement disposés à garder la pose très longtemps et même après trois voyages consécutifs dans les couvents, il m’arrive encore d’avoir la frousse de certains d’entre eux. Recharger des châssis alors qu’un Egungun équipé de gourdins vient réclamer quelques pièces en offrande n’est pas une mince affaire. J’aimerais pouvoir utiliser la chambre systématiquement mais il me faudrait un meilleur équipement. Je m’en sortirais probablement mieux avec une chambre équipée d’un viseur et d’un télémètre.
J’emporte aussi une valise d’éclairage, l’ensemble est lourd et volumineux ce qui complique la logistique pour quelqu'un qui, comme moi, ne bénéficie pas d’un budget élastique.

Il y a évidement aussi des contraintes pour accéder au sujet lui-même, ces contraintes sont liées aux traditions, aux interdits, aux saisons. Pour les revenants, la principale difficulté fut de pouvoir pénétrer dans les couvents. Par ma présence régulière dans le pays, l’aide d’amis et la bienveillance de certains, j’ai eu la possibilité d’être accepté au sein du «grand éléphant» qui est l’un des couvents Eguns de Porto-Novo. Malgré tout, rien n’ai jamais acquis et gagné d’avance, l’incertitude est toujours de mise et les déconvenues de dernières minutes fréquentes.
L’accès aux masques du Burkina est beaucoup plus aisé ; il reste tout de même rythmé par les saisons. Il faut aussi composer avec la chaleur et la centaine de curieux qui assistent aux prises de vues lorsqu’elles se déroulent en extérieur. Certains masques se déplacent uniquement si ils sont accompagnés par un groupe de musiciens. Vouloir les faire bouger d’un décor à un autre et c’est tout une fanfare que se met en mouvement...

 

   

 

 

Notes :
1 A streetcar nammed Desire by Tennessee Williams
2 Paul Valery

 

 

 

dernière modification de cet article : 2011

 

 

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