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Jean-Philippe Astolfi :
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l'auteur
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Diriez vous que votre travail est un travail sur le langage, avant d'être un travail photographique ? Question difficile tant les deux sont liés. La photographie n’est jamais purement
indicielle ; elle utilise des codes, des signes et des conventions qui
en font un langage, elle est une forme d’écriture. Dans le langage, comme dans la
photographie, ce qui m’intéresse c’est l’analyse du processus par le
quel le sens apparaît ; pour se faire je joue de cette polysémie
inhérente à la photographie.
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La notion de frontière et de limite est très importante pour vous ? Elle est importante en tant que questionnement sur ce qui fait identité, sur ce qui fait sens, une fois de plus. Frontières est un mot valise, qu’il convient de définir : la frontière qui sépare deux pays n’est pas la frontière qui sépare profane et sacré, ce qui n’empêche pas la frontière entre deux pays d'être vécue comme sacrée ; la frontière physique qui sépare deux territoires n’est pas la frontière administrative qui acte leur séparation, même si souvent elles se superposent ; les frontières culturelles ne sont pas des murs stables sur lesquels s’adosser, elles sont pourtant souvent utilisées pour en justifier la construction. Lorsqu’on parle de frontières il est important de savoir de quoi il est question précisément. Depuis deux ans environ, j’ai engagé un travail photographique sur les frontières; quand je dis sur c’est en étant physiquement dessus. Que ce soit le long de la ligne de partage des eaux entre Massif du Forez, Mont du Lyonnais et du Beaujolais, ou à la jonction des mondes de la vigne et de la vache en Bourgogne, ou encore entre terre et mer le long des cotes de la Corse, il est toujours question de la longer au plus prés afin de vérifier sur place la nature du basculement qui s’y opère.
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Diriez-vous que vous aspirez à un œil neuf, par le changement de point de vue ? Le passage par la poésie et la lecture de poètes comme Roberto Juarroz m’ont amené à penser que Vivre c’est être en infraction. A une règle ou à une autre règle. Il n’y a pas d’alternatives : ne rien enfreindre c’est être mort. Etre photographe, c’est être dans une posture de dissidence. La photographie nous fait passer de l’indice à l’icône, de ce qui nous attache physiquement au monde à ce qui s’en détache, mince épaisseur de papier pigmenté qui nous isole, nous coupe de toute vraisemblance. La photographie, en ouvrant un hiatus dans
la circulation du sens, crée les conditions pour qu’un changement de
point de vue ait lieu : elle est par nature une forme de transgression.
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Trouvez-vous l'intériorité, le système de pensée, pesant ? Les philosophes grecs n’ont pas éprouvé le besoin de penser la conscience alors que celle-ci nous semble être une dimension essentielle de notre existence. Pourquoi s’embarrasser d’une chose pareille alors qu’il est possible de vivre sans…
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Pour vous que signifie exactement le tracé de perspective dans cette série d'images ? L’outil photographique, par les systèmes optiques qu’il utilise, génère des déformations connues de tous les photographes et, sauf à utiliser un matériel spécifique, oblige l’opérateur à prendre en compte ses contraintes dans la fabrique de l’image. L’œil du photographe est formaté pour tenir compte d’éléments qui habituellement échappent au spectateurs : les lignes de fuites, l’horizon, les jeux de lumières… Le photographe est, par exemple, plus à même de se rendre compte que vivre dans un monde urbain, c’est vivre entouré de perspectives mais sans véritable horizon ce qui fait qu’il a conscience que l’urbain est un monde paradoxal. Ces éléments étaient donc déjà présents à l’image et il m’a semblé que les accentuer allait dans le sens de mon propos, à savoir : la représentation des lignes de fuites rend visible l’intervention du photographe tout en étant en contradiction avec le style documentaire initialement perçu : elle renvoie l’image à sa nature d’objet à deux dimensions alors que les tracés épousent les lignes des volumes ; elle enserre l’image dans un maillage tout en indiquant un point de fuite, une sortie possible, cet artifice était parfaitement adapté à mes intentions.
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Diriez-vous que vous êtes poststructuraliste ? Existe-t-il un poststructuraliste qui se
soit présenté comme poststructuraliste ? Si besoin est de se situer, je dirais que je me retrouve plus dans la lecture des philosophes pragmatiques anglo-saxons et dans la philosophie analytique que dans la philosophie continentale. En disant cela je me rend compte que je situe plus mon travail photographique en fonction de certains courants philosophiques que de certains courants artistiques ou photographiques…
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Un grand travail doit-il être plein d'humour ? Il faudrait passer le travail des grands noms de la photographie au filtre de cette question pour pouvoir y répondre. A première vue il y a peu de place pour l’humour dans la photographie, elle est souvent considérée par ceux qui la pratiquent comme quelque-chose de sérieux d’où la critique et le rejet de ses usages les plus triviaux. Et pourtant… l’humour, comme le jeu de mot, fonctionne sur un décalage, sur ce basculement du sens auquel j’ai fait plusieurs fois référence, il est une voix d’accès au réel en tant qu’idiotie au sens que lui a donné Clément Rosset.
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dernière modification de cet article : 2015
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