Photographie orthoscopique
en panoramique par assemblage :
une interview de Laurent Thion
Laurent, vous venez de terminer un
travail pour la Cité de l'architecture et du patrimoine. En quoi
a-t-il consisté ?
Il s'agissait d'un appel d'offre public qui
proposait la création de contenus pour des bornes multimédias disposées dans
la cité. Certains lots concernaient particulièrement la photographie
panoramique et l'image très haute définition. Le principe général étant de
proposer une possibilité de visualiser les moulages du musée dans leur
contexte d'origine. Le cahier des charges stipulait entre autre de pouvoir
agrandir suffisamment les images de manière à aisément reconnaître et
confronter "originaux et copies"... en fait les termes "originaux et copies"
doivent être relativisés : nombre de campagnes de moulages des monuments ont
été effectuées au XIXe siècle. En raison des conflits de 1914-18 et 1940-44
et des dégradations liées à la pollution, bien des sculptures visibles
actuellement sur les édifices sont en fait des reproductions en pierre des
moulages, passées soudainement de copies à originaux !
Vous avez réalisé des photographies de
façades équirectangulaires orthoscopiques. Dans quel but ?
Initialement, les bornes ne devaient contenir
uniquement que des panoramiques sphériques. Autant les panoramiques se
justifient pour les intérieurs ou certains environnements particuliers comme
les toitures, autant les façades réclamaient un traitement particulier, vu
le peu d'intérêt à 360° de certains parvis.
J'ai donc proposé de photographier en très
haute définition lesdites façades. Un player permet de visualiser l'ensemble
de l'image puis d'y plonger littéralement grâce à l'action d'un joystick. Le
fichier permet donc de voir des détails quasiment invisibles à l'œil nu
lorsque l'on est sur place. Les images livrées ont toutes une résolution
supérieure à 100 millions de pixels.
Cité de l'architecture et du patrimoine, galerie Davioud : les bornes en
place en dessous du statuaire de la Cathédrale de Strasbourg ; notez à
gauche le personnage du Tentateur, tenant la pomme.
Quels ont été les procédés employés ?
Les panoramiques ont été réalisés
"classiquement" avec une tête montée sur pied, un boîtier numérique et un
logiciel d'assemblage. La seule particularité de cette commande consistait
en l'emploi d'une focale plus longue que ce que j'utilise habituellement,
ceci pour emmagasiner plus de résolution et permettre a posteriori un
grossissement supérieur lors de la consultation. À noter qu'une sphère
réalisée à l'intérieur d'une cathédrale nécessite plus d'une heure de prise
de vue, en raison du temps de pose, du calcul de la réduction du bruit, et
du bracketting pour les vitraux (jusqu'à 8 STOP d'écart de contraste).
Voir un exemple
du procédé employé. Ce panorama
a été réalisé spécialement dans le musée pour montrer l'implantation des
bornes par rapport aux collections. Ce n'est pas un produit haute définition
qui a été livré ! Par définition, il n'est pas possible de mettre des
panoramas réels en ligne, vu le poids de fichier... On trouvera des exemples
de panoramas réellement livrés, par exemple de l'intérieur de l'église de
Conques, ici :
http://ecliptique.com/conques/ (encore ne s'agit-il là que d'une version
fortement allégée pour le web).
Les vues orthoscopiques ont été elles
aussi réalisées par assemblage avec les mêmes matériels et softwares
que pour les panoramas, à l'objectif près.
Parlez-nous des difficultés particulières
rencontrées en photographie orthoscopique !
Je pense qu'elles sont les mêmes qu'en
photographie en grand format. Le premier point de difficulté concerne le
choix de l'emplacement de prise de vue. Si la symétrie axiale devait être
parfaitement respectée pour ce travail, les conditions de terrain obligent
parfois à des aménagements, voire des compromis. Sur le papier, il pouvait
être judicieux de louer une nacelle afin de gagner en décentrement. Mais
ceci aurait été une erreur pour les cathédrales. En effet, les sculptures
sont taillées de telle manière qu'elles doivent être regardées d'en bas. Une
anamorphose sensible apparaît dès que l'on s'élève un peu. Un étirement
vertical artificiel compense la vision en contre plongée naturellement
induite par le positionnement en hauteur.
Vue orthoscopique de la Cathédrale de Strasbourg
Un détail permettant d'estimer la résolution de l'image : le Tentateur, en
vrai.
Les conditions météo prennent toutes leur
importance sur la lisibilité et la réalisation de ce type d'image. La
rapidité d'exécution a une grande importance également puisqu'il s'agit de
prendre consécutivement plus d'une centaine d'images. Le passage d'un nuage
au milieu de la séquence est catastrophique et le mouvement de l'ombre
interdit quasiment tout retour en arrière. Il faut parfois composer, en
plus, avec la présence de promeneurs, d'aiguilles d'horloges qui tournent
entre deux rangées, de pigeons... il est aussi très important de stabiliser
l'appareil après chaque rotation afin de ne pas engendrer de flou de bougé
dû à la vibration. L'emploi d'un diaphragme très fermé (juste avant la
diffraction) et de la sensibilité minimale du capteur entraîne une vitesse
d'obturation toujours trop lente, même en plein soleil...
Un autre grand classique est le coup de pied
involontaire dans le trépied, alors que l'on en est presque à la fin. Ce
n'est pas grave, on recommence...
Bref, on n'est pas loin de des contraintes
d'emploi de la chambre...
Un avantage notoire : la périphérie de l'image
est réalisée, comme le reste, avec un téléobjectif. Même si la projection
rectilinéaire entraîne une déformation des pixels autour de l'axe optique
(au même titre qu'un décentrement), aucune aberration ni vignettage ne se
fait sentir, l'image étant assemblée à l'intérieur d'une sphère virtuelle
dont le centre correspond à la pupille d'entrée de l'objectif.
Quel matériel avez-vous utilisé ?
Un Nikon D200 sur lequel j'ai monté un nikkor
135mm f/2,8 acheté une poignée de cerises il y a quelques années. Cette
optique était quasi neuve mais non AI. Un petit coup de lime sur la bague
des diaphragmes m'a permis d'utiliser cette optique sur des Nikon F3, puis
sur le D200 sans aucun problème.
L'ensemble boîtier-objectif est monté sur un
prototype maison dérivé de la tête 303sph de chez Manfrotto. Bien évidement,
un pied lourd, une base de mise à niveau et un déclencheur électrique sont
aussi du voyage.
J'utilise Stitcher de Realviz pour assembler
les images.
Choix des images dans Bridge CS3
Montage
Redressement des verticales
Redressement des horizontales
Zone de rendu. C'est sur cette zone que les bornes interactives permettront
de zoomer (voir ici un
exemple partiel de fonctionnement).
Dans ce travail, avez-vous rencontré des
limites du côté de votre matériel... idéalement, aimeriez-vous avoir un
matériel plus performant pour ce genre de photo ?
Les limites sont déjà atteintes depuis un
moment. J'aimerais pouvoir augmenter encore la résolution, quitte à faire
fumer mon ordinateur qui passe déjà des nuits entières de calcul
d'assemblage...
Deux solutions semblent possibles pour
augmenter la résolution. Seule la seconde me semble viable. La première
consiste à augmenter la distance focale, afin de réduire le champ et
multiplier en rapport le nombre d'images à réaliser pour couvrir une surface
donnée. Ceci implique deux conséquences : augmentation non négligeable du
temps de prise de vue, diminution de la profondeur de champ. Le contrôle
précis de l'angle de rotation devient problématique.
La seconde solution consiste à utiliser un
capteur plus grand ou offrant une meilleure résolution. Cette option offre
deux avantages. Celui de g������������������������������������������������nérer plus rapidement des fichiers de même poids
(donc en utilisant une focale plus courte, et en gagnant en profondeur de
champ à diaphragme égal). L'autre de permettre l'enregistrement d'encore
plus de détails, à focale égale. En ce cas, faire très attention aux
conséquences sur la baisse de productivité au niveau de la post production.
Je me prends donc parfois à rêver d'un dos
cf39 monté sur un blad ou sur mon vieux RB67, le tout sur une tête
panoramique sur mesure... et d'un moyen pratique et universel de diffuser
une image de plusieurs dizaines de gigaoctets.
L'assemblage d'images est pour moi une sorte
d'absolu en ce sens qu'une sphère virtuelle, même partielle, constitue la
surface sensible dont tout le monde a inconsciemment rêvé : pas de
vignettage, pas d'aberration géométrique, aberration chromatique
négligeable, un champ angulaire de 360x180 degrés si besoin...
dernière modification de cet article
: 2007
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