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 les auteurs

Emmanuel Bigler est professeur (aujourd'hui retraité) d'optique et des
microtechniques à l'école d'ingénieurs de mécanique et des microtechniques (ENSMM) de Besançon.
Il a fait sa thèse à l'Institut d'optique à Orsay
E. Bigler utilise par ailleurs une chambre Arca-Swiss

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Yves Colombe, ingénieur

Ecole Polytechnique
Docteur en physique atomique
En grand format utilise
une chambre Bender 4x5 pouces

yves.colombe@worldonline.fr
 

 

 

 

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Un objectif photographique n'est pas une lentille mince !
Première partie, introduction aux systèmes optiques centrés épais

 

par Emmanuel BIGLER (1) et Yves COLOMBE

 

(1)  Mél d'Emmanuel Bigler

 

Résumé

Nous commençons avec cet article une série qui traitera des optiques photographiques en tant que système optique épais réel, en essayant d’aller plus loin que la représentation traditionnelle simplifiée sous la forme d’une unique lentille mince convergente. Ce premier article concerne les bases des systèmes optiques centrés épais ; les articles suivants traiteront des questions de photométrie, des réglages des diaphragmes, de l’importance des pupilles et du problème de « raccordement panoramique » dans une optique épaisse. D’autres articles traiteront de la profondeur de champ géométrique, de la règle de Scheimpflug et de la diffraction dans un tel système épais lorsqu’on ne peut plus le considérer comme une lentille mince.

La plupart des modèles expliquant la formation d’image dans une chambre photographique grand format ne prennent en compte qu’une simple lentille mince convergente. De façon assez étonnante, ce modèle est suffisant pour expliquer la position et la grandeur des images, la profondeur de champ et, dans une certaine limite, les effets de diffraction, la photométrie, la règle de Scheimpflug et le rendu des perspectives. On se propose ici de souligner l’intérêt du modèle de la lentille mince et de préciser dans quelles circonstances photographiques il faut faire appel au modèle plus élaboré du système centré épais.

Table des matières

 

I  Introduction :
La chambre grand format, ou le retour à l’essentiel de l’image

II  Formules de conjugaison pour un système optique épais

III  Conclusion

I  Introduction : La chambre grand format, ou le retour à l’essentiel de l’image

La formation d’une image à travers une lentille mince convergente est non seulement à la base de la photographie, mais si on considère que l’œil humain se compose d’un assemblage simple de dioptres sphériques, ce modèle (en y adjoignant le dioptre sphérique) décrit également assez bien le phénomène de la formation de l’image rétinienne. C’est donc un modèle très simple basé sur l’association de deux dioptres sphériques (pour la lentille) ou bien trois ou quatre dioptres avec des milieux d’indices différents (pour l’oeil, selon la complexité du modèle optique retenu) qui permet d’expliquer à la fois la formation d’image photographique et la vision. Il semblait donc autrefois que tout photographe avait vraiment besoin de connaître en optique au moins ce modèle de la lentille mince. Or l’évolution technique des appareils photographiques au cours du XXe siècle, du moins en ce qui concerne le matériel destiné au grand public, tend à éloigner de plus en plus le photographe des rayons lumineux passant à travers l’objectif et formant l’image sur un film classique ou sur un détecteur électronique. On pourrait donc penser qu’il n’y a plus guère de raison pour le photographe du XXIe siècle, et encore moins pour celles et ceux qui ne font plus de photos qu’avec leur téléphone portable, de connaître ce qu’est une lentille, ni a fortiori de connaître les lois de l’optique, ni de savoir en détail comment se forment les images, puisque tout semble pris en charge automatiquement.

L’utilisation d’une chambre technique, ou chambre grand format, nous oblige à retrouver le phénomène de formation directe de l’image derrière l’objectif, d’abord sur le dépoli puis sur un détecteur placé manuellement au coup par coup, avec tout ce que cela comporte de rustique. L’image est renversée, sur le dépoli elle est presque aussi sombre que celle d’un écran à cristaux liquides, mais, heureuse surprise, comme disaient Pierre Dac et Francis Blanche : « Et c’est en couleurs !»

On ne sait pas bien comment regarder cette image, certains s’évertuent à vouloir la redresser ; on s’interroge sur la façon de cadrer. Les questions de profondeur de champ semblent se poser de façon très différente par rapport aux petits formats, dans certaines circonstances on vous parlera de la règle de Scheimpflug et de bascules permettant « d’avoir une profondeur de champ très grande » alors que d’autres prétendront que plus le format est petit, plus la profondeur de champ est grande. Comment peut-on expliquer tout cela ? Les très grands cercles d’image nette des objectifs de chambre permettent grâce aux décentrements d’obtenir des perspectives inhabituelles. Les lois de l’optique seraient-elles différentes d’un format à l’autre, où le deviendraient-elles dès que c’est un soufflet qui prend place entre l’objectif et le film ?

I 1  Le modèle de la lentille mince est-il réaliste ?

En pratique, et le lecteur s’en doute pour avoir déjà lu d’autres ouvrages sur la photo, une bonne partie de ce qui vient d’être évoqué peut être expliqué en se référant à un modèle d’optique géométrique (plus un tout petit peu de diffraction) entièrement basé sur une seule lentille mince. Il y a là un paradoxe qui est rarement pris en compte dans les ouvrages traditionnels : en effet les ouvrages de photographie sérieux expliquent avec force détails qu’il faut obligatoirement une combinaison de lentilles de formes variées et des verres différents pour obtenir de bonnes images. Les mêmes passionnés qui dénigreront un modeste triplet, qui feront la fine bouche devant un prestigieux quatre-lentilles, seront les premiers à vous tracer des diagrammes dans lesquels l’objectif se réduit à une seule lentille mince convergente.

Alors, que faut-il penser de ce modèle de la lentille mince ? Toutes les formules classiques utilisées par des générations de photographes (formules de conjugaison, règle de Scheimpflug, photométrie, profondeur de champ, diffraction,…) toutes ces formules qui sont allègrement recopiées d’un ouvrage à l’autre, sans oublier bien entendu Internet, jusqu’à des sites d’entreprises optiques ou photographiques renommées, seraient-elles toutes fausses parce qu’aucun objectif ne se réduit à une seule lentille mince ?

I 2  Pourquoi cette série d’articles

Tel est le but de cette série d’articles : tout d’abord, montrer pourquoi le modèle de la lentille mince unique est si fructueux pour décrire quantitativement presque tout ce dont on aura besoin en photographie courante ; mais également présenter les cas dans lesquels il faut représenter le système optique centr����������������������������������������� épais par quelque chose de plus précis, sans pour autant devoir faire une révision déchirante de ce qu’on sait déjà de la lentille mince.

Les formules classiques de la lentille mince restent utilisables presque dans toutes les situations photographiques courantes, mais d’ailleurs qui s’en sert sur le terrain ? L’un des intérêts de la chambre grand format n’est-il pas, évidemment, de se laisser simplement guider par l’image qui se forme manuellement sur le dépoli plutôt que se référer à un formulaire, une calculatrice, un logiciel embarqué couplé à un pied à coulisse électronique ?

Mais les utilisateurs de chambres grand format, du moins ceux dont on peut lire les messages sur Internet, semblent être tellement épris de rigueur et de précision qu’il apparaît tout aussi indispensable d’aller, d’abord pour eux, certes, mais aussi pour tous les autres, un peu plus loin dans ce que l’optique géométrique sait facilement expliquer à partir du modèle des systèmes optiques centrés épais. Le cadre théorique est classique, c’est celui de l’approximation des petits angles et des faibles champs-image (approximation de Gauss).

On n’abordera pas ici les délicates notions du calcul des combinaisons optiques ni la science de la correction des aberrations. Le mot d’ordre, sauf exception dûment signalée, sera donc le suivant : les ingénieurs de l’optique photographique depuis un siècle et demi consacrent tous leurs efforts à réaliser en pratique des objectifs qui suivent effectivement la règle de base de la formation d’image en optique géométrique : tous les rayons d’un point de l’espace objet se coupent, après réfractions multiples dans les lentilles, en un même point derrière l’objectif qu’on appelle image géométrique. Dans un grand angulaire moderne, les tracés de rayons très inclinés dans des lentilles très bombées, en bord de champ, sont en réalité différents de ceux que l’on peut déduire du schéma idéal pour un système épais représenté par ses éléments cardinaux. Néanmoins, dans les optiques modernes très bien corrigées de la distorsion –et ceci ne s’applique pas non plus aux optiques de type « fish-eye »– on peut déterminer de façon correcte la position et la grandeur des images dans toutes les optiques photographiques actuelles en utilisant les règles de base des systèmes centrés épais et en les extrapolant hors de l’axe optique ou pour des rayons très inclinés. Ce qu’on peut dire tout simplement, c’est qu’un rayon rentrant dans l’objectif réel (et dont on connaît les éléments cardinaux) ne ressort pas là où on l’attend... mais rejoindra bien le plan image à l’endroit prévu.

Enfin, on trouvera sur ce site en accompagnement de cette série d’articles un glossaire (ref. [1]) rassemblant, dans la terminologie française consacrée, l’essentiel des notions abordées. Les termes écrits en caractères gras dans cet article ont une entrée dans ce glossaire.

II  Formules de conjugaison pour un système optique épais

II 1  Plans principaux H et H’

Il faut attaquer d’emblée par ce qui est peut-être le plus délicat, c’est à dire la représentation des éléments cardinaux d’un système optique centré [2, 3]. Partant de la formation de l’image et de la relation objet-image dans une lentille mince convergente, on peut montrer que les relations analogues pour une optique photographique épaisse se déduisent assez simplement en introduisant l’écart HH′ appelé interstice entre les plans principaux (figure 1). Traditionnellement on appelle H et H′ l’intersection des plans principaux avec l’axe optique, ou points principaux . Il n’est pas impossible de voir dans la lettre H la trace originelle des très germaniques Hauptpunkt, Hauptebene que vous retrouverez dans les ouvrages d’optique [4] et les spécifications techniques en allemand.




 
 
Figure 1: Comment on passe de la lentille mince au système épais

Partons de la correspondance objet-image dans une lentille mince (figure 1) et découpons par la pensée le système en passant par le milieu de la lentille : O = H = H′. Écartons l’espace objet de l’espace image d’une distance HH′ sans modifier le tracé des rayons en entrée et en sortie.





 
 
Figure 2: Tracé symbolique des rayons à l’intérieur d’une optique épaisse

On ajoute conventionnellement sur le tracé (figure 2) des pointillés qui complètent les rayons à l’intérieur du système, ces pointillés ne sont pas des rayons lumineux et n’ont pour but que de rappeler que la position en hauteur d’un point tel que D en entrée se retrouve sur son homologue D′ en sortie. Les points principaux sont conjugués l’un de l’autre, c’est à dire que H′ est l’image de H ; c’est un peu difficile à comprendre car on ne peut pas toujours avoir accès à ces points. On dit que pour les plans principaux le grandissement transversal est égal à un parce que les distances mesurées verticalement HD et HD′ sont égales, et du même côté de l’axe, pour le points D et son image D′ ; ces points sont conjugués également.

Lorsque l’objectif travaille dans l’air, ce qui est le cas le plus fréquent en photographie, les indices de réfraction du milieu d’entrée et de sortie sont identiques, et dans ces conditions les points principaux H et H′ sont confondus avec les points nodaux N et N′ du système qui ont comme propriété particulière de conserver l’angle α d’inclinaison du rayon entrant en N et sortant en N′ (figure 2).

Nous obtenons ainsi un tracé qui n’est autre que l’épure d’un système épais, pour lequel les formules de conjugaison sont analogues à celles de la lentille mince :

    (1)

simplement, il faut compter les distances p et p′ à partir des plans principaux respectifs : compter p à partir de H (pour l’espace objet), et p′ à partir de H′ (pour l’espace image).

La formule (1) est connue en France sous le nom de Formule de Descartes, elle est écrite ici sous sa forme simplifiée valable pour un système convergent dans lequel les quantités p et p′ sont toujours considérées comme des distances positives ; ce sont celles qu’on utilise dans la pratique photographique.

Dans un objectif grand angulaire pour appareil reflex, le plan principal image H′ peut être situé totalement en dehors du système optique, entre la dernière lentille et le foyer. On expliquera plus loin l’intérêt d’avoir ce plan principal H′ qui tombe très en dehors de l’objectif. L’interstice, distance séparant H et H′, peut être très important, mais il joue un rôle secondaire dans les applications photographiques.

Bien noter, et cela se complique un peu, que les points H et H′ peuvent être situés de manière « croisée » avec H de l’autre côté de H′ dans le sens de parcours de la lumière (figure 3), on dit alors que l’interstice HH (noté avec une barre dessus, c’est une distance algébrique) peut être positif ou négatif. Dans le cas de la figure 1 la distance HH est positive car H’ est à droite de H, avec le sens de parcours conventionnel de la lumière de la gauche vers la droite.





 
 
Figure 3: Les plans principaux peuvent être croisés avec HH<0

Dans le cas de la figure 3, on a HH négatif, ce qui signifie simplement que H′ est à gauche de H ; cette situation a priori un peu curieuse et difficile �� comprendre est en fait courante, sans être une règle absolue, dans les formules télé-objectif utilisés pour tous les formats lorsqu’on veut que la longueur de l’objectif soit nettement plus courte que la distance focale. Le but est de réduire l’encombrement total et le tirage mécanique minimum requis en position infini - foyer. Ce qui compte en fait dans un télé-objectif c’est que le point H′ soit en avant de la première lentille ; la position du point H n’est pas ce qui importe le plus.

Dans le cas général, la formule de Descartes s’écrit avec des distances algébriques ; on écrira par exemple dans le cas de la figure 3 : HA < 0 HA > 0 pour la formation d’images dans une optique photographique.

Les points A et A′ sont à la verticale des points B et B′ sur l’axe, exactement comme dans le tracé de rayons et les formules de Descartes de la lentille mince. Les formules algébriques seront valables de façon très générale pour tous les systèmes centrés, même les systèmes divergents (par exemple un doubleur de focale) et pour toutes les positions des objets et des images, sous la forme :

    (2)

Dans l’équation générale (2), la quantité HF est la distance focale image du système épais ; pour un système fonctionnant dans l’air, on a la relation : HF=−HF si les milieux d’entrée et de sortie ont les même indices de réfraction. Il suffit donc de définir une seule distance focale qui est positive pour une optique photographique, qui est un système optique convergent et que nous appellerons pour plus de simplicité f ; en toute rigueur, il faudrait introduire la distance focale image f′ et noter :

  • HF = f′>0 pour un système convergent,

  • HF = f′<0 pour un système divergent.

C’est ici en regardant la figure 3 que se pose certainement une difficulté dans l’interprétation du diagramme. En effet il est impossible que sur cette figure les rayons incidents tels que BD et BE puissent réellement atteindre leur destination sans avoir été déviés par l’un des dioptres constituant le système optique. Il convient donc d’accepter que le schéma ne représente effectivement qu’une épure, un assemblage de lignes géométriques qui permet de déterminer correctement la position de l’image pour un point source donné. Sur la figure 4, seul le début (BI) et la fin (IB′) des tracés s’identifient effectivement avec un trajet lumineux, jusqu’à la rencontre du premier dioptre puis en sortie après le dernier dioptre ; du moins si on s’en tient aux rayons peu inclinés proches de l’axe (approximation de Gauss). Le plus souvent, le premier dioptre est la surface de la première lentille (mais on peut aussi ajouter une bonnette ou un filtre devant !) ; on prolonge le tracé en pointillé jusqu’à la rencontre avec le plan principal objet en D, à la verticale de H. En sortie dès qu’on a passé le dernier dioptre, à nouveau les tracés (IB′) sont, en première approximation, ceux réellement suivis par la lumière (figure 4) ; le rayon semble provenir de D′ situé à la verticale de H′. Il convient néanmoins de nuancer cette vision qui n’est a priori valable que pour des rayons faiblement inclinés, très proches de l’axe optique. Si le trajet des rayons dans l’espace objet est évidemment correct même aux très grands angles jusqu’à la rencontre du premier dioptre, le tracé symbolique juste en sortie du dernier dioptre ne correspond pas tout à fait à ce qui se passe à l’intérieur d’un objectif réel avec des rayons très inclinés. Néanmoins, et c’est le point important qu’il faut retenir, le tracé symbolique donne correctement la position et la grandeur des images même avec une optique grand angulaire (à faible distorsion, fish-eye exclu) ou à très grande ouverture.





 
 
Figure 4: L’épure du système optique épais permet de déterminer où sont les images par un tracé symbolique, quelles que soient les positions des plans principaux

Ce mélange subtil entre les trajets réellement parcourus par la lumière et leur prolongement en pointillé jusqu’aux plans principaux est l’une des questions conceptuellement délicates lorsqu’on aborde l’optique géométrique appliquée aux systèmes centrés épais. Si on en accepte les règles, c’est aussi facile qu’un tracé de rayons de lentille mince.

II 2  Définition des distances focales

II 2 a)  Comment la lentille mince nous aide à définir la focale d’un système épais

Repartant de la figure 1, lorsqu’un faisceau de lumière parallèle à l’axe entre dans la lentille, en sortie les rayons convergent vers le foyer image F′. Lorsqu’un objet tel que B s’éloigne vers la gauche à une très grande distance en conservant constant l’angle α entre BH et l’axe, ou –ce qui est équivalent– si un faisceau de rayons parallèles faisant un angle α avec l’axe entre dans la lentille, ces rayons se coupent en sortie au point Fs′ situé à la vertical de F′, c’est à dire dans le plan focal image (figure 5).




 
 
Figure 5: Définition des distances focales

Séparons maintenant les plans principaux H et H′ pour obtenir le cas du système épais, les tracés de rayons dans chaque demi-espace objet et image se comportent comme dans la lentille mince. Par définition on appellera distance focale du système épais la distance HF′. Si on utilisait l’objectif à l’envers, dans l’air comme c’est la règle en photo courante, on trouverait par la même expérience de l’image d’un objet éloigné, une distance HF égale à HF′. Il n’y a qu’une seule distance focale pour un système qui est utilisé dans des milieux de même indice de réfraction en entrée et en sortie. Pour un système convergent, F′ est situé à droite de H′, c’est à dire que la quantité algébrique HF est positive. Tous les objectifs photographiques sont des systèmes convergents, mais ils peuvent être formés de l’association de groupes de lentilles convergents ou divergents. Comme exemples de systèmes optiques divergents on citera, outre les verres ophtalmiques corrigeant la myopie (lentille simple divergente), les convertisseurs de focale utilisés sur les appareils reflex.

Il y a donc une difficulté qui se présente lorsqu’on cherche à estimer la distance focale d’un système épais inconnu. La connaissance de cette distance conditionne les formules de conjugaison, donc la position, la grandeur des images. La connaissance de la distance focale impose par exemple des conditions très fortes sur la distance minimale entre un objet et son image sur un écran placé à une certaine distance supposée fixée par avance.

Si l’objectif est d’un type connu et que la fiche technique est accessible, bien qu’on puisse évidemment faire confiance au fabricant, on aura la curiosité de retrouver par soi-même les valeurs de la fiche technique. Si le fabricant indique que la focale de l’objectif est de 150,3 mm, on aura très précisément le plan principal H′ situé à 150,3 mm en avant du foyer, c’est à dire à peu près à 150 mm en avant de l’image d’un objet très éloigné.

II 2 b)  Comment déterminer soi-même la distance focale d’un système épais ?

Avec une lentille mince, on formera sur la paume de sa main ou sur un papier l’image d’un objet éloigné, par exemple une ampoule placée, disons au-delà de 50 fois la distance focale (d’accord, on est en train de chercher cette distance focale ! Mais on peut en avoir une idée approchée !!). Parce que les plans principaux H et H′ sont confondus au centre de la lentille mince, la distance entre la lentille mince et l’image de cet objet éloigné, qui est placée au foyer image F′ nous donne une bonne idée de la focale. Avec un système épais inconnu, rien ne matérialise l’emplacement du plan principal H′ ; s’il est possible avec un objectif photographique de former l’image d’un objet lointain, à partir de quelle référence doit-on mesurer la quantité HF′ ?

Il existe des méthodes professionnelles pour déterminer cela avec précision, mais il faut toute une instrumentation (collimateurs, viseurs, sources, …) et un banc optique que l’amateur ne possède pas.

Néanmoins il est parfaitement possible d’estimer la distance focale d’un système épais inconnu par des méthodes simples.

La première méthode est une méthode de comparaison. On suppose que vous avez sous la main un appareil 24x36 « à film » avec un objectif de focale connue, par exemple un 50 mm. Ouvrir le dos de l’appareil et placer un morceau de papier calque au niveau des rails presse-film. Pointer deux objets éloignés bien contrastés et mesurer l’écart en millimètres sur l’image. Disons qu’on trouve 20 mm. Formons l’image de la même scène avec l’objectif inconnu, et supposons qu’on puisse mesurer sur un dépoli l’écart entre les images des deux même objets. Par exemple c’est une optique de chambre et on peut la monter sur…une chambre et faire l’image d’un objet lointain sur un grand dépoli. Si on trouve un écart de 60 mm entre l’image des deux objets avec l’objectif inconnu, une petite règle de trois très simple nous dit que la focale cherchée est égale à 50x60/20 = 150mm. Cette méthode a l’avantage d’être totalement insensible à la position des plans principaux, en particulier pour un zoom où les plans principaux bougent en même temps que la focale varie.

Une deuxième méthode un peu plus précise applicable aux objectifs photographiques est la suivante (méthode de Davanne et Martin [2], figure 6) :

  1. repérer le foyer par l’image d’un objet éloigné, par exemple un élément de paysage bien contrasté (clocher, arbre sombre sur fond de ciel) . On formera cette image soit sur un écran soit sur un verre dépoli. C’est facile avec une chambre monorail. On mesurera alors la distance entre le sommet de la dernière lentille (ou plutôt le bord de la monture, ou le plan d’appui de baïonnette ou de planchette, il vaut mieux éviter de toucher les lentilles avec des objets métalliques) et la position de l’image. Depuis le sommet de la dernière lentille cette distance est appelée tirage optique ; la distance entre le plan d’appui de la baïonnette ou encore la planchette et ce foyer, s’appelle tirage mécanique.

  2. choisir un petit objet lumineux de dimensions calibrées, par exemple un morceau de papier calque avec graduations centimétriques éclairé par derrière grâce à une lampe de poche. Reculer l’écran jusqu’à ce que se forme une image inversée de ce quadrillage qui conserve exactement les dimensions de l’objet. Ayant ainsi « attrapé » l’image une première fois, il est plus facile maintenant de faire bouger l’objet sans « perdre » cette image sur l’écran qu’il faudra déplacer en conservant la netteté. Partant d’une position éloignée de l’objet, l’image se forme tout d’abord près du foyer, le grandissement est d’abord très petit, puis en avançant l’objet vers l’objectif et en reculant l’écran ou le dépoli de visée, pointer la position pour laquelle les carreaux de l’image font le plus exactement possible 1 cm, c’est à dire exactement la même dimension que la grille centimétrique utilisée comme objet.

    La distance dont il faut reculer l’écran ou le dépoli entre la position 1 (infini-foyer) et la position 2 (2f-2f) est égale à la distance focale.




 
Figure 6: Détermination approchée de la distance focale d’un objectif photographique épais par la méthode de Davanne et Martin [2]

Cette méthode n’est pas, et de loin, la plus précise pour déterminer une distance focale, mais elle permettra de se familiariser avec les distances minimales nécessaires pour former l’image des objets entre le « très lointain » et le « très proche ».

Si on retourne l’objectif ou si on fait rentrer la lumière par l’arrière, on détermine de façon analogue la position du foyer objet F et on peut montrer que si les milieux optiques d’entrée et de sortie sont identiques (dans notre cas : l’air), les deux distances algébriques HF et HF sont égales et opposées, soit encore en laissant tomber le signe, en distances arithmétiques : HF = HF′ = f. Il n’y a, répétons-le, qu’une seule distance focale pour une optique photographique utilisée dans l’air.

Il existe une autre méthode utilisée professionnellement, dite du « tourniquet à point nodal » appelée également « Tourniquer de Moëssard » [5] et qu’on peut mettre en oeuvre soi-même si on ne cherche pas une très grande précision. Elle est basée sur la recherche de la stationnarité de l’image sur un écran pour un objet très éloigné, idéalement situé à l’infini, lorsqu’on tourne l’objectif en maintenant fixes les positions relatives de l’objet et de l’écran (figure 7).




 
 
Figure 7: Détermination approchée de la distance focale d’un objectif photographique épais par la méthode du point nodal image et de l’image stationnaire en infini - foyer ; pour plus de clarté, les dioptres d’entrée et de sortie ne sont pas représentés, et la limitation des faisceaux est tracée dans un cas particulier où les pupilles sont placées dans les plans principaux, une situation proche de la réalité des optiques de chambre quasi-symétriques

On forme sur un écran fixe par rapport au paysage l’image d’une scène très éloignée de façon qu’on puisse la considérer comme à l’infini. Un professionnel de la métrologie optique utiliserait un collimateur, l’amateur se contentera là encore comme objet de l’immeuble d’en face ou d’un clocher.

Il faut être capable de faire pivoter l’objectif autour de n’importe quel point de l’axe optique ; ceci suppose d’être équipé d’une glissière, ou d’une chambre monorail réduite à son seul corps avant, qu’on peut faire tourner autour d’un axe vertical quelconque, réglable en coulissant le rail par rapport à la tête de trépied qui impose cet axe de rotation vertical.

L’image doit se former sur un écran ou un dépoli désolidarisé de l’objectif, on va chercher à ce qu’elle reste fixe par rapport à l’objet lorsqu’on tourne l’objectif.

On fait pivoter l’objectif autour de l’axe dans un sens puis dans l’autre ; on constate que dans la plupart des cas l’image se déplace dans un sens puis dans l’autre, sauf dans une position particulière de l’axe de rotation qui correspond au point nodal image N′, identique dans l’air au point principal image H′.

En réalité si on y regarde de près (figure 7) on voit que la propriété des poins nodaux de conserver l’angle de sortie α′ égal à α maintient le rayon HFs parallèle au rayon moyen AH en entrée. Si l’optique n’a pas de courbure de champ, le point Fs après rotation est situé un tout petit peu en arrière de l’écran. Pour expliquer cela il faut se représenter le tracé classique en appliquant les règles mais en tenant compte du fait que l’axe optique et le foyer F′ ont tourné ; c’est par raport à cette nouvelle position qu’il faut faire le tracé. Un faisceau de rayon parallèles à AH se focalise en un point du plan focal Fs, mais le plan ayant tourné autour de H′, le point de focalisation Fs n’est plus tout à fait situé sur l’écran, mais un peu en arrière : l’image devient floue.

Dans cette expérience du tourniquet, même si on tourne correctement autour du point H′ = N′, même si aux grands angles de rotation l’image reste quasi-stationnaire, elle se défocalise un peu. Mais l’important est que le rayon HFs reste parallèle à la direction des rayons incidents. Cette propriété de stationnarité s’étend de façon approchée aux autres point de l’image, qui eux proviennent de la focalisation de rayons non parallèles à AH, ce qui rend l’ensemble de l’image stationnaire.

L’image de l’objet à l’infini se formant dans le plan focal passant par F′, la détermination du point nodal image N′ = H′ nous donne –en remettant l’axe du système optique perpendiculaire à l’écran– la focale f du système épais, égale à HF′.

Cette propriété de stationnarité de l’image pour un objet à l’infini est à la base du réglage optique des appareils panoramiques à fente mobile et tambour rotatif, pour lesquels l’image doit rester stationnaire par rapport au film pendant que l’objectif tourne ; ces questions seront à nouveau abordées dans la deuxième partie de l’article.

II 2 c)  Distance minimale entre l’objet et son image dans un système optique épais

Une autre question qui se pose assez fréquemment aux utilisateurs de chambres, avec des focales qui sont nettement plus longues que celles des petits formats, c’est de savoir quelle est la plus petite distance objet-image Dmini permettant de faire une mise au point. C’est celle de la position « 2f-2f », au grandissement -1, elle est donnée par :

Dmini = 4f + 
HH
    en position « 2f-2f »     (3)

Si la distance HH′ est petite devant f comme dans une lentille mince, on voit qu’il faut au moins quatre fois la distance focale entre l’objet et l’image. Autrement dit, avec un objectif de 150 mm de focale pour lequel l’interstice HH ne dépasse pas quelques mm, il vous faudra au moins 60 cm d’écart entre l’objet et l’image, et il faudra pouvoir reculer le dépoli ou le film d’au moins 150 mm par rapport à la position infini-foyer. Dans un objectif pour lequel l’interstice HH est négatif, on gagnera un peu par rapport à cette règle, cela arrive sur certains télé-objectifs (pas tous, loin de là). Mais les télé-objectifs étant en général des longues focales, la question de la distance minimum entre l’objet et l’image se posera tout de même avec plus de difficulté en photographie à la chambre.

En grand format, on a vite besoin de très longs rails si on veut faire de la macrophoto ; la plupart des chambres de campagne qui n’ont pas un système d’extension de mise au point important ne permettront pas d’atteindre facilement la position « 2f-2f ». Une exception notable est celle de certaines chambres techniques à abattant frontal dont l’exemple-type est la Linhof Technika® , pour lesquelles l’extension de soufflet permet en format 9x12-4"x5" d’atteindre le « 2f-2f » avec un 150 mm de focale.

En faisant cette expérience de visualisation de l’emplacement du plan principal image H′, on trouvera selon la combinaison optique employée dans l’objectif, que H′ peut être situé à l’intérieur de l’objectif pour une formule standard quasi-symétrique, mais qu’il peut être en avant ou en arrière de l’objectif, dans l’air, respectivement dans le cas des télé-objectifs ou des grands angulaires pour appareil reflex.

III  Conclusion

La lecture des fiches techniques des constructeurs d’objectifs qui donnent la position des éléments cardinaux, illustrée par quelques tracés simples d’épures des formules optiques, avec la manipulation personnelle des optiques épaisses et la connaissance des formules de conjugaison des lentilles minces permet d’« apprivoiser » sans grande difficulté le comportement réel des optiques photographiques qu’elles soient prévues pour le format 24x36, les moyens formats ou les chambres, les règles sont les mêmes. Après tout, le fait que l’optique soit épaisse se limite, pour la détermination de la position et de la grandeur des images géométriques à la nécessité de prendre en compte l’interstice HH′ dans les tracés symboliques ; même dans les cas un peu curieux du télé-objectif et du rétro-focus, la difficulté reste modeste.

Le télé-objectif et le rétro-focus permettent de résoudre certains problèmes de tirage mécanique, mais sur le fond rien ne change. En ce qui concerne l’optimisation de ces optiques, le fait d’imposer une contrainte forte sur la position du plan principal H′ par rapport aux lentilles peut peser sur les performances finales des objectifs, mais les constructions d’images, les grandissements et les différents réglages basés sur l’épure du système dans l’approximation de Gauss, à l’exception de la séparation HH′, ne diffèrent pas beaucoup de ce qui est bien connu avec une lentille mince.

Nous verrons dans les autres articles sur https://www.galerie-photo.com comment l’optique épaisse diffère de la lentille mince dans les questions relatives à la photométrie, on parlera de l’importance des pupilles, puis on terminera en présentant la conjugaison de plans inclinés, et enfin on parlera des questions de diffraction dans un système épais.

Références

[1]

Les termes techniques de cet article qui sont écrits en gras sont expliqués dans ce document :
Emmanuel Bigler et Yves Colombe, Glossaire des termes techniques de l’optique photographique
https://galerie-photo.com/glossaire-optique.html

[2]

André Moussa & Paul Ponsonnet, Cours de Physique, tome 1, Optique
Desvigne, Lyon (1977 - 1988) ISBN 978-2703700548
réédité chez Casteilla (2000) ISBN 978-2713512230

[3]

Luc Dettwiller, Les instruments d’optique : étude théorique, expérimentale et pratique, ISBN 2-7298-5701-X (Ellipses, Paris, 1997)

[4]

Jost Marchesi, Handbuch der Fotografie ISBN 3-9331-3122-7 (Verlag Photographie, Gilching, 1999)

[5]

Moëssard, Paul, « Étude des lentilles et objectifs photographiques. Première partie. Étude expérimentale complète d’une lentille ou d’un objectif photographique au moyen de l’appareil dit “le Tourniquet” » Gauthier-Villars et fils, Paris, 1889
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30955666r

[6]

David Jacobson & John Bercovitz,
http://www.graflex.org/lenses/photographic-lenses-tutorial.html

 

Voir les autres articles sur https://www.galerie-photo.com

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Emmanuel Bigler et Yves Colombe 17 février 2021

 

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dernière modification de cet article : 2021

 

 

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