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l'auteur

Henri Gaud
Photographe pour les Editions GAUD
Editions familiales publiant des livres
spécialisés dans les domaines du patrimoine
en premier lieu les abbayes cisterciennes
puis le vitrail contemporain et
aujourd'hui majoritairement
les jardins contemporains
le rapport minéral végétal.

Editions Gaud
11 rue Brulard
77950 MOISENAY
tél. 01 60 66 94 60 - 06 07 65 08 70
fax 01 60 69 92 08

henrigaud55@gmail.com

 

 

 

 

 

 

 

Rouge -  Une belle journée

Des prises de vues non prévues dans les manuels du bon photographe

 

Texte et Photo Henri Gaud - Mars 2004

Acte I 

Commande d'un reportage, par défaut... le client ne me choisit pas, il sait ce qu'il ne veut pas, après avoir tourné dans les photothèques et comme " tout est très nul " selon l'expression qui m'est revenue, je suis mis en piste.

Pas de cheville qui enflent, je connais vaguement le site et le sujet : des vitraux contemporains dans un site patrimoine. Je connais la difficulté pour y avoir été largement confronté et mes images sandwichs en argentique ou en numérique me tirent toujours d'affaire. C'est différent sur chaque site, pour chaque œuvre, mais la problématique reste toujours la même : rendre l'ambiance, c'est-à-dire que vitraux et architecture soient clairement reproduits avec le plus de détails possible. Je réponds que je saurais faire sans problème dès que l'on me donne le feu vert, ce qui est fait sans directives particulières, genre "vous avez l'habitude allez-y". 

Acte II 

Je me rends sur place, le matériel choisi est simple, efficace et surtout rapide dans l'action ; il ne faut jamais perdre de temps, la lumière est très fugitive au mois de février.

Le lieu : prieuré de Salagon à proximité de Forcalquier. L'œuvre : les vitraux d'Aurélie Nemours Le matériel utilisé : Canon 1Ds pour le numérique + 24 et 90 TS-E ; 14 ; 70-200 et Fuji GX 680 pour le film Provia 100 F + 50-65-180, le reste n'ayant pas servi, sans oublier le spotmètre F et le flashmètre VI de chez Minolta. Ajoutons 2 pieds Gitzo carbone pour pouvoir travailler dans les deux formats en même temps.

L'utilisation d'argentique et numérique en même temps est plutôt là pour assurer, l'œuvre en question étant assez singulière. Je dis cela sans avis personnel mais plutôt sur le plan technique, vous le savez... je ne suis pas critique d'art, et mon avis est de peu d'importance. De plus sur cette question mon raisonnement est simple, je ne peux avoir une connaissance d'un lieu qu'après la séance photographique et là tout commence... donc pas d'avis, cela nuirait à mon travail. C'est à dire que c'est le travail photographique qui m'amène à comprendre et non pas le fait de comprendre qui me permet de photographier.

Découverte des lieux : une petite église de style roman provençal, c'est-à-dire très simple et un peu archaïque, du roman du 12ème siècle. Peu de fenêtres et de petite surface, en façade ouest un petit oculus, côté sud une petite fenêtre, pour l'abside côté est une autre petite fenêtre ainsi qu'une porte vitrée (avatar des hasards de l'histoire), pour le côté nord une petite fenêtre et dans les parties hautes du chœur un oculus tourné vers l'est, soit en tout 5 fenêtres. Le verrier, ou plutôt l'artiste (Aurélie Nemours donc) a choisi de fermer ces fenêtres par un verre de chromie et de tonalité unique pour les 5 fenêtres, un rouge pétant, plus que monochrome, ressemblant à s'y méprendre à notre Wratten No 25, le rouge de sélection trichrome.

Faire des photos en couleur d'un sujet monochrome, pourquoi pas ? mais sujet polychrome et éclairage monochrome, c'est très spécial...

Acte III

Quelques réflexions préalables :

On est d'accord, cette église n'est pas ouverte au culte. Mais le rouge a beau être une des couleurs liturgiques, je ne vois pas bien ni le sens, ni la symbolique de l'affaire.

Mon œil met bien 20 mn à s'habituer, si l'on peut parler ainsi, à cette très faible lumière totalement rouge.

Ensuite c'est mon cerveau qui commence à entendre des clapotis, croit être de retour au labo, mais en fait cette couleur met plutôt en panne mon système de perception de la couleur, jusqu'au malaise...enfin presque.

Assez rapidement j'estime que les vitraux ne sont pas l'œuvre. Il me faut bien une méthode de travail, considérer que l'œuvre se situe dans cet ensemble rouge nouvellement créé par ces fenêtres rouges monochromes et la très faible lumière résultante et aussi, si l'on veut, la destruction de l'édifice roman.

La solution est donc d'axer sur les ensembles et non pas sur les fenêtres, qui restent de peu d'intérêt sur le plan photographique... les autres plans n'étant pas de mon ressort.

Réflexions techniques :

Nos chers posemètres risquent d'être un peu chahutés, ils ne sont pas vraiment faits pour le monochrome ; heureusement ce rouge c'est 2/3 du spectre visible. L'inquiétude est plutôt pour notre cerveau perturbé qui s'inquiète. La technique, elle, n'a pas d'état d'âme.

J'utilise le terme monochrome plutôt dans le sens des peintres, que dans le sens monochromatique des scientifiques : dans le cas d'Aurélie Nemours nous sommes en présence d'un monochrome qui couvre les 2/3 du spectre. Ce n'est pas la raie du sodium, mais plutôt le rayonnement du néon... je dis cela sans autre contrôle technique que l'impact du rayonnement sur les couches sensibles ou les photosites.

Que dois-je rendre ? la réalité des fenêtres ? le Rouge ? l'ambiance Rouge ? ce que voient mes yeux ? ce que voit mon cerveau ? ce que ressent mon esprit ? ce que voit mon objectif ? un peu de tout cela... mais dans des cas aussi extrêmes il y a une marge entre la réalité technique et ce qu'il faut ou faudrait retranscrire.

Ce qui est sûr est que l'on ne me demande pas d'en ajouter une couche en fabriquant une œuvre à partir de l'œuvre d'Aurélie Nemours dont l'œuvre est déjà transformation radicale d'une "œuvre" antérieure à la finalité différente.

Quelques mesures avec mes deux références de mesure Minolta, et un petit test numérique en balance des blancs automatique... autant faire chic et que la puce travaille un peu... j'imagine que la démission était proche, le monochrome n'étant pas dans le cahier des charges Canon... mais les premiers déclenchements tests me rassurent sur le bon fonctionnement. Après ce premier galop, je ne juge pas bon de prendre le thermocolorimètre, outil un peu trop décalé dans la situation... et le niveau lumineux est trop bas pour que les mesures puissent être complètes. 

Je penche malgré tout pour un bon fonctionnement des appareils, les 3 systèmes ayant des capteurs différents, et donnant un même résultat (ou en tous cas des résultats comparables) ; j'ai plus de chances d'avoir 3 bonnes mesures qu'une erreur identique sur les 3 systèmes. Les écarts de contrastes sont importants mais pas toujours mesurables, les spotmètres patinent un peu dans les ombres, mais une mesure incidente permet de cerner vaguement le problème (une fois n'est pas coutume)... sachant qu'avec un rayonnement de ce type la pauvre cellule "courbe de l'œil" doit être un peu dans les choux.

Les poses mesurées et pratiquées sont de 4 à 30 s autour de F/11 pour 100 iso, les prises de vues seront faites à F/11 +- 1/2 en argentique sans s'inquiéter de Swarchwild et à F/11 en numérique. Les histogrammes ont une bonne tête en sous-exposant de 2/3, mais c'est habituel sur le 1Ds. Donc des histogrammes complets en forme de chapeau (ou du boa qui à mangé l'éléphant). Voilà qui me tranquillise pour l'instant. Y a plus qu'à.

Compte tenu des écarts entre les surfaces des murs et les surfaces des fenêtres, le contraste sujet dépasse ce que l'on peut enregistrer, soit entre 8 et 10 diaphragmes sur des valeurs moyennes... je penche pour des vues sandwichs en argentique et fait 2 séries pour chaque cadrage : une pour les vitraux, une pour les murs. J'utilise souvent cette méthode qui donne de très bons résultats - avec ses limites sur certains sites.

La journée est belle... beau soleil d'hiver qui laisse des taches rouges sur le sol ; j'en profite pour photographier ces tâches. Il faut allez vite, les taches glissent très vite du sol au pilier ; vue de détail, d'ensemble, la routine ou presque.

J'ouvre la porte ouest pour faire rentrer un peu de polychromie, et cerner ce rouge par contraste de couleur et non plus dans l'absolu. Réglage porte légèrement entrebâillée ou un peu plus... on tue le rouge très vite, l'ouverture de la porte peut très rapidement dissiper plus de lumière que les 5 fenêtres... je ferai la plupart des photos avec juste un filet de lumière passant par la porte.


Variation de tonalité en entrouvrant la porte de quelques centimètres 
(Canon 1Ds + TS-E 24 mm)

Finalement tout se passe bien ; j'arrive, me semble-t-il, à faire le tour de la question posée... je range mes petites affaires. J'aime beaucoup ces journ�������������������������������������������������������������������������es à questions inattendues ; tout se transforme en un grand jeu de questions - réponses entre ce que l'on voit, ce que l'on ressent, ce que l'on suppose, le poids de la culture, ce que nous permettent les moyens techniques et enfin ce que l'on veut dire.

Ce type de reportage, un lieu pour moi tout seul, une journée sans contrainte, si ce n'est cette gymnastique intellectuelle et photographique, ponctué par le côté mécano des montages démontages des appareils, est vraiment ce qui me satisfait le plus ; je dirais même que le plaisir de la table lumineuse est en deçà ; si ce premier plaisir n'est pas accompli, l'examen de la table lumineuse peut se révéler décevant. Ma mission, celle que je me fixe, est de ne trahir ni le lieu, ni l'auteur en incitant le lecteur à venir voir sur place. 

Acte IV

Retour au bureau, examen des Ektas et des fichiers numériques.

Les fichiers ont plutôt de beaux histogrammes, les poses sont bonnes ; bien que l'ensemble paraisse plutôt très dense, les fichiers Raw ouverts en 16 Bits permettent toutes les corrections nécessaires sans problèmes. Pour les Ektas visuellement toujours très denses avec des Hautes Lumières qui sont autour en RVB de 1,10 ; 2,40 ; 2,94. Je parle là des HL rouges, les HL lumières blanches sont tout à fait normales... le vrai sujet c'est ce rouge. J'ai l'habitude en 6x8 de faire trois poses, ma pose calculée encadrée par + 1/2, - 1/2. Les vues correctes ont les densités énoncées plus haut ; les vues plus claires, bien que très denses, ne résistent pas à l'examen : les HL sont vite cramées il faut du cyan partout pour animer un peu ce rouge qui, dès qu'il est trop pur, donne l'impression d'être passé au rouleau.

Finalement les vues sandwichs sont inutiles... sur un segment de 4 ou 5 diaf les rouges de fenêtres ne bougent pas du tout, et les prises de vues posées pour l'intérieur conservent les détail dans les fenêtres, au moins autant que dans les vues "fenêtres" qui deviennent inutiles ; film et capteur encaissent beaucoup plus que l'ambiance et les mesures ne le laissaient supposer. Le scanner Imacon 848 se comporte très bien et trouve sans problème les détails même dans les zones très dense, je ne regrette pas mon choix, et les scan sortent facilement. Au final les fichiers issus des deux types de prises de vues sont assez proches, plus de définition pour les Ektas 6x8 mais pas une différence énorme, le numérique encaisse un peu mieux les contrastes et le rouge presque surexposé n'a pas la même tonalité chez l'un et l'autre. Dans les deux cas les rouges cramés deviennent jaunes. Belle journée, et bon résultat, selon mes critères bien sûr, et très amusante... comme de résoudre un problème de math qui semble insoluble.

Acte V

Le client apprécie le travail : ce sont de bonnes photos, mais... en fait le verre utilisé est du rouge sélénium et il est impensable que du jaune ou de l'orange puisse apparaître sur les images... pour illustrer une monographie cela fait désordre. De plus il faudrait que les plombs soient visibles alors qu'ils sont bouffés par la diffraction... 


Pour notre client : dans la photographie de gauche le jaune ne convient pas. La fenêtre doit être comme sur l'image de droite...pourquoi pas ? j'ai laissé un peu de jaune dans les vues d'ensemble pour donner un peu de brillant, mais un avis différent n'est pas un problème... finalement quelques sandwichs seront nécessaires. Le client a forcément des impératifs et des raisons qui lui sont propres, et l'idée de faire un bricolage ne choque personne celui-ci est nécessaire pour soutenir le propos.

 

Les images sandwichs qui ne me semblaient pas indispensables réapparaissent à juste titre et quelques Photoshop vont m'aider à habiller Pierre et Paul, un peu de bidouille ne portera ombrage ni à l'œuvre, ni à mon travail... alors allons-y. Mon client m'a montré - sur le ton "certains arrivent à obtenir les vitraux et les murs en même temps" - quelques photos dans un livre qui effectivement montre clairement l'architecture et les vitraux dans leur fenêtre. Je proteste sur quelque chose que je vois : "pas de çà chez nous, un éclairage en contre-plongée pour compenser le contraste, c'est non, il s'agit pour moi de faire un travail qui respecte les lieux et l'œuvre, même si le résultat est incomplet... donc pas de lumière artificielle, sauf avec des moyen dignes du cinématographe, mais c'est à vous de décider." 

Finalement quelques petites corrections et tout ira bien, et le Rouge sera tiré en cinquième par prudence (Pantone Red 32C).

Reste maintenant à connaître le point de vue de l'artiste, peut-être un jour...

 

 

dernière modification de cet article : 2004

 

 

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