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le photographe
Marc Kereun
Daguerréotypiste depuis une trentaine d’année, Marc Kereun est souvent
sollicité par les Institutions culturelles en lien avec le
daguerréotype, réalisant à leur demande des démonstrations publiques de
daguerréotypie, notamment au Musée gruérien de Bulle (Suisse) dans le
cadre de l’exposition « Miroirs d’argent » consacrée à Joseph-Philibert
Girault de Prangey, et pour l’émission scientifique « Einstein » sur la
TV Suisse.
Il est actuellement président de l’Association « Louis
Daguerre, le magicien de l’image » qui œuvre à la restauration du
dernier Diorama de Daguerre existant au monde (Bry-sur-Marne), et enfin
Commissaire de l’exposition de daguerréotypes contemporains organisée
par l’Association et la Ville de Bry-sur-Marne.
En 2001, il était déjà Commissaire de l’exposition « Daguerre,
le Magicien de l’Image », Bry-sur-Marne pour laquelle il a réalisé
un héliochrome (daguerréotype « couleur ») et un film documentaire
suivant les étapes de la création d’un daguerréotype dans un jardin.
Marc Kereun a également présenté des conférences
sur le daguerréotype, notamment à Falaise, lors de la Biennale
internationale de l’image à Nancy et au Club de la Chimie, à Paris.
Il a participé à l’exposition de daguerréotypes
contemporains à la Daguerreian Society, Pittsburgh, USA, en 2005, à la
Biennale Internationale de l’Image à Nancy en 1999 et 2001. Il a
collaboré au tournage de la séquence du daguerréotype de Balzac dans le
film de Laurent Canches, «L’improbable rencontre».
Début 2006, il organise une exposition de 50
photographies sur le Tchad à N’Djaména, « Rencontres Intemporelles ».
En 1999 il a obtenu un DEA Histoire des Techniques,
CNAM/CHDTE, à Paris poursuivant sa recherche sur l’héliochromie
d’après les procédés d’Abel Niépce de Saint-Victor et Edmond Becquerel.
Il rédige le story-board du film en images de synthèse pour le
Musée des Arts et Métiers, à Paris, Réalisation d’un daguerréotype à
l’époque de Daguerre, et publie un article sur l’héliochromie dans
la revue de la Légion d’Honneur, la Cohorte.
En 1983, Marc Kereun montre dans un reportage
photographique de Bernard Lefebvre, la réalisation d’un daguerréotype
intitulé « la table servie ».
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L'auteur de l'article
Lionel TURBAN
né en 1980
Fondateur du site
Disactis.com, Lionel s'est consacré très tôt à l'étude technique des
Procédés Anciens en Photographie. Son désir serait que ces pratiques
soient reconnues aujourd'hui comme des outils libres et non
confidentiels, au service de l'expression contemporaine et de
l'épanouissement personnel
Chimie et petit matériel pour la Photographie Artisanale
www.disactis.com
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Technique du daguerréotype
Compte-rendu d'une rencontre avec Marc Kereun, par Lionel Turban
(cette interview a été initialement publiée sur le site
www.disactis.com
Nous remerçions Lionel Turban de nous autoriser à la publier de
nouveau sur galerie-photo)
Depuis mes débuts dans la pratique des
procédés anciens de Photographie il y a une dizaine d'années, le
Daguerréotype est celui qui m'est resté le plus mystérieux et le
plus fascinant. Je vais tâcher de vous le présenter.
La daguerréotypie est le premier
procédé pratique et commercial de la Photographie. Dans la seconde
moitié des années 1830, Louis Daguerre, peintre Parisien, va,
inspiré par les travaux de Niepce, mettre au point la nouvelle
technique.
Sur un plaque de cuivre plaquée
d'Argent poli et sensibilisé aux vapeurs d'Iode, l'image du sujet,
projetée par une lentille, est rendue visible par des vapeurs de
mercure puis fixée pour devenir permanente.
Présentée ici la mise en œuvre semble
simple. Rien n'est plus vrai, rien n'est plus faux ! Plus vrai car
ce sont précisément et purement les étapes de la Daguerréotypie.
Plus faux car ces étapes dépassent les mots et ne prennent leur sens
que par les gestes du Daguerréotypiste qui ressent la matière et
entame un dialogue avec elle et les éléments.
Ces gestes, à l'époque, étaient
transmis de maître à élève. Ceux qui se lançaient seuls
abandonnaient le plus souvent après quelques tentatives plus ou
moins concluantes, en laissant derrière eux une plaque ou deux, de
vues de toits Parisiens, gris et vides. Peu de Daguerréotypistes
exercent aujourd'hui dans le monde. La majorité d'entre eux est aux
Etats-Unis et recourt souvent à l'assistance de lourds instruments
de mesure électronique. En France, pays de naissance du
Daguerréotype, les héritiers de la science de Daguerre se comptent
sur les doigts d'une seule main.
J'ai découvert il y a quelque temps
l'existence de l'un d'eux, sans doute le plus immergé dans le
procédé, Marc Kereun. Cela faisait déjà quelques mois que je tentais
de produire des images Daguerriennes et elles restaient à peine
perceptibles. Par le biais de recherches sur le net, je trouvais
l'adresse mail de Marc. Espérant peu une réponse, je décidai de lui
demander quelques précisions sur la Daguerréotypie. Quelques jours
plus tard, je reçus un message de lui m'indiquant qu'il serait
présent lors d'une conférence sur l'Histoire de la Photographie
programmée à quelques kilomètres de mon domicile ; il répondrait à
mes questions si je m'y rendais. J'avais moi-même reçu une
invitation à cette conférence dans le cours du mois précédent...
coïncidence encore, un des seuls Daguerréotypistes de France
résidait donc à seulement quelques minutes de route de chez moi !
J'ai donc rencontré Marc Kereun pour la première fois en
novembre 2006. Il m'avait amené protégé dans une écharpe foncée un
daguerréotype encadré : reflets argentés somptueux, blancs chauds et
intenses, finesse extrême ; c'était une nature morte sur le thème de
l'Automne. Ce soir là, j'ai posé beaucoup de questions et reçu
autant de réponses. J'ai compris qu'il me faudrait énormément
travailler pour arriver à un tel niveau. Les mois qui ont suivis ont
été rythmés de multiples essais, entrecoupés de mails envoyés à Marc
pour avoir des précisions sur les observations que je pouvais faire
sur mes résultats. Toujours disponible, il m'a orienté dans la bonne
direction.
La Daguerréotypie, c'est comme revenir
au monde et devoir réapprendre à marcher. Tenir sur ses deux jambes,
ressentir le terrain, avoir la force de franchir les obstacles et
toujours se relever après de multiples chutes.
Finalement, après que ce soit écoulée
une longue année de travail, Marc décide de me lancer une invitation
à venir assister chez lui à une séance de Daguerréotypie pour
m'offrir les dernières clés du procédé. Rendez-vous est pris pour le
lendemain à midi à son domicile, dans la campagne Vosgienne.
Voici quelques images prises à
l'occasion de cette deuxième rencontre. Il ne s'agit pas ici de
détailler un "pas à pas" du procédé, mais de présenter un
Daguerréotypiste du XXIème siècle qui travaille exactement comme au
temps de Daguerre, c'est à dire dans le ressenti.
Après un bon repas sous le soleil de
septembre où la discussion n'a évidemment pas quitté la
daguerréotypie, Marc se met au travail.
Mise en place du décor. Ce jour là, un léger voile nuageux vient
adoucir
la lumière crue du soleil. C'est une chance.
Une fois les tentures mises en place,
le travail de composition des objets qui vont constituer la nature
morte, commence.
Souvent, Marc met en scène des objets
qui trouvent un lien entre eux
sur un thème bien défini.
Lorsque l'on voit le contraste
engendré par les objets sombres et la clarté du
tableau aux teintes bleues fortement actiniques, on peut imaginer
toute la difficulté
de maîtrise du procédé : il faut éviter une solarisation des blancs
tout en donnant suffisamment d'exposition pour donner du détail dans
les ombres. La solarisation
consiste en un assombrissement des blancs trop puissants sur le
daguerréotype :
une sorte d'inversion partielle dans les hautes lumières, qui prend
une teinte bleutée
peu flatteuse. Cette solarisation est l'une des limites à ne pas
atteindre.
Marc vérifie le cadre et la
composition. Divers objets s'ajoutent et trouvent leur place.
La composition est ici achevée.
La chambre est maintenant mise en
place. Il s'agit d'une chambre Linhof de format
4x5 inch.
Marc passe sous le voile afin de
réaliser le cadrage et la mise au point.
J'attire votre attention sur le chronomètre qu'il porte autour du
cou. Il s'agit du seul instrument de mesure qu'il utilise dans la
pratique de ce procédé.
Pendant que Marc réajuste les objets
de la composition, je passe à mon tour
sous le voile pour apprécier le cadre.
Découvrons à présent le laboratoire.
Dans un coin du garage, nous nous trouvons
finalement en face de quelque chose d'assez éloigné de ce que peut
être un labo
photo argentique aujourd'hui. Pas d'agrandisseur, pas d'éclairage de
sureté, pas de
papiers sensibles ni de multiples cuvettes. Seulement deux caisses
en bois verni
sur le plan de travail. L'une pour la sensibilisation à l'Iode et au
Brome, l'autre pour la révélation aux vapeurs de mercure.
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Marc
attrape sur une étagère en face de lui de petites enveloppes
de papier dans lesquelles sont protégées les plaques
argentées. Certaines portent déjà une image. |
L'étape du polissage est capitale. La
couche de métal précieux doit être
parfaitement décapée, polie et propre. La pression du bras sur
l'Argent doit être
régulière et mesurée. Aucune économie ne doit être faite sur le
coton et le papier
absorbant !
Le poli est ici parfait. Ni souillure
ni rayure ne doivent subsister. L'argent mis à
nu doit être protégé de la moindre vapeur nocive qui peut entrainer
l'échec.
La plaque Argentée, d'une brillance
extrême, est prête à recevoir la sensibilisation
par les vapeurs d'Iode. La boîte à mercure, à gauche, peut recevoir
tous les formats,
jusqu'à la pleine plaque 18x24cm.
Sans attendre la plaque est disposée
dans la boîte à Iode, directement en contact
avec les vapeurs Iodées. Le Chrono est alors enclenché, mais il ne
demeure
qu'une base de temps pour la durée de la sensibilisation. Celle-ci
sera ensuite
ajustée par l'observation de la couleur que va prendre la plaque.
Daguerre parle d'un
beau jaune paille. La durée peut considérablement varier en fonction
de la quantité
d'Iode disposée dans la boîte et de la température ambiante. Les
vapeurs Iodées
vont constituer en se combinant avec le métal précieux un Iodure
d'Argent qui va
devenir sensible à la lumière.
La boîte à sensibiliser les plaques est divisée en deux parties. A
gauche la
sensibilisation de base à l'iode, à droite la sensibilisation au
Brome qui va permettre
des temps de pose pouvant atteindre la seconde.
Pendant la sensibilisation qui demande
quelques minutes, Marc tire d'une étagère
une ancienne boîte qui était certainement destinée à recevoir des
plaques au
collodion, si l'on en croit les taches noires marquant le bois. La
boîte abrite à
présent des daguerréotypes...
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Ici, un
portrait d'Arago.
Arago annonça au monde en 1839 la naissance officielle de la
Photographie avec le Daguerréotype. |
Une pleine plaque : en la contemplant,
Marc soupire : "Les images ne changent
pas, mais mon reflet, lui, change..." c'est précisément à cet
instant que je
comprends la particularité émotionnelle du Daguerréotype. Le
spectateur avant de
trouver l'image éprouve son propre reflet, puis le mêle à l'image,
puis finit par ne
plus voir qu'elle au final. Il s'opère en esprit une transition du
présent vers le passé,
de la couleur au monochrome, du "Moi" vers "l'Univers". C'est une
sensation unique
qui nous met en face de notre état d'être vivant et conscient et
nous redonne
notre place au monde.
Retour en plein air. Le châssis,
chargé de la plaque sensible, est mis en place
dans la chambre.
Marc, après avoir jeté un coup d'œil à
l'état du ciel et à la composition, estime le
temps de pose à trois minutes et trente secondes. L'occasion pour
moi de poser
encore quelques questions sur ce que j'ai pu observer jusque là,
pendant que le
Dieu Soleil est au travail.
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Après
l'exposition, la plaque impressionnée est placée dans la
boîte à mercure. A la douce chaleur d'une flamme, les
vapeurs viennent se condenser là où la lumière a frappé,
avec toutes ses nuances.
Ici encore, la température du mercure n'est pas mesurée.
Marc sait exactement quelle hauteur donner à la flamme pour
que l'opération soit menée au mieux.
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Après quelques minutes sous l'action
des vapeurs de mercure, la plaque est
immergée dans l'Hyposulfite de soude. L'image devient à cet instant
permanente.
Elle entre dans l'Histoire du monde. Notez sa perfection. Les blancs
du tableau ne
présentent aucune solarisation. Les ombres sont parfaitement
détaillées !
Marc prépare à présent une solution de
Chlorure d'Or jaune afin de dorer la plaque.
La dorure a plusieurs buts. D'abord, elle va protéger la plaque des
agressions
mécaniques possibles. La couche image, extrêmement fragile à
l'origine, va devenir
très résistante grâce à la dorure. Ensuite, cette étape permet de
réchauffer et
d'intensifier les blancs tout en assombrissant les noirs. Le
contraste va s'en trouver
augmenté, ce qui va faciliter la visualisation du daguerréotype.
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La dorure
est également une opération très délicate car l'image va
passer par une destruction apparente, puis renaître plus
belle. Une dorure bien conduite est difficile à obtenir car
la période de destruction apparente de l'image peut
entrainer beaucoup d'ennuis irrécupérables. Sur l'image
ci-contre on voit au centre l'image renaître, chaude et
intense, tandis que les bords sont encore dans la tourmente,
ternes et sombres. C'est un moment angoissant et magique ! A
cette étape, toute les opérations précédentes peuvent être
anéanties.
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Un rinçage abondant et à température
permet l'élimination des sels parasites qui
pourraient être néfastes à la tenue de l'image dans le temps.
Le daguerréotype ici encore humide va
prendre de l'intensité et du contraste au
séchage. Souvenez vous des teintes et des contrastes violents de la
composition
initiale ! Au final, une vaste plage de gris se présentent à nos
yeux. Même le rouge
du velours est bien rendu... Impossible de faire sentir sur un écran
d'ordinateur la
brillance, la finesse et la profondeur de cette plaque. C'est une
merveille.
Un séchage à l'air ambiant donne son
intensité finale à l'image... Ici, la plaque
parait négative.
A travers l'image imprimée dans
l'argent le regard de Marc renvoie à un autre.
Il y a plus de 160 ans, Daguerre posait ce même regard sur d'autres
dessins
parfaits, engendrés par la nature elle-même.
Je remercie encore Marc, par qui
l'Histoire se prolonge, et son épouse Sophie,
pour leur accueil et leur gentillesse.
Lionel TURBAN - ©Disactis.com
- 2007
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