Alexandre Jeser : “Kant’s dream”
(2001-2005)

Alexandre Jeser © Astiers
Alexandre,
pourquoi ce goût pour la montagne ?
La montagne me donne une sensation de sublime et de dépassement
sans équivalent. Pour autant, je ne parviens pas à expliquer ce
sentiment. Le paysage a-t-il quelque chose d’intrinsèque qui le rend
sublime par lui-même? Ou est-ce moi qui le trouve sublime de manière
subjective? Je reste perplexe. Les représentations que nous nous
faisons de la nature sont des catégories de notre culture et de
notre pensée. Ainsi, certaines cultures voient la montagne comme
hostile et sans intérêt. La culture occidentale a fait de la
montagne le lieu iconique d’une manifestation de la transcendance.
La représentation d’un paysage nous apprend plus sur nous-mêmes
que sur le paysage lui-même. Etre attiré par la montagne signifie
certainement une certaine correspondance mentale ou imaginaire.
L’esprit s’approprie les formes et les espaces pour mieux en faire
l’Etre-là de son existence. Kant a très bien exprimé cela. Terrible
exigence que celle de la Montagne. D’où le titre ironique de cette
série.
On peut facilement imaginer l’univers kantien se situer à des
altitudes qui confinent aux étoiles. Pour résumer, le rêve kantien
porte en lui tous les éléments propices à un tel monde visuel : la
rencontre singulière des espaces du sublime et la géométrie des
hommes comme “représentation” d’une pensée.

Alexandre Jeser © Brouillard
Quand on pense aux paysages de montagne, on pense
plutôt aux « beaux paysages » d’une nature magnifiée ; pourquoi
avoir choisi de montrer la montagne sous cet autre aspect ?
Il m’aurait semblé « malhonnête » de continuer à montrer des
visions idéalisées alors que le paysage a tellement évolué. Le
paysage que nous voyons aujourd’hui est l’aboutissement de la Pensée
des Lumières menée à ses extrêmes conclusions : la foi dans le
Progrès, l’Idée de l’Homme supérieur, la maîtrise de la nature, la
possession totalitaire de l’espace. C’est l’accomplissement de
l’Homme Prométhéen. Mais le contexte actuel tend à prouver la
faillite d’un tel modèle.
La richesse de la photographie est justement de permettre
plusieurs strates de lecture : la dimension documentaire n’est pas
inférieure à la dimension métaphorique.

Alexandre Jeser © Bure
En regardant vos
photographies on a l'impression que vous désirez mettre en scène une sorte
d'absence monumentalisée de l'homme... vous pourriez accepter ce
raccourci ?
Oui, cela résume bien les choses.
Que restera-t-il de notre monde dans 100 000 ans? C’est très peu à l’échelle
de l’espérance de vie des espèces, rien aux échelles géologiques. Sans pour
autant faire acte de reportage ou démontrer des opinions politiques, l’art
ne s’accomplit que dans la conscience d’une époque.
Certaines architectures
que je photographie sont très emblématiques de l’utopie conquérante
de l’homme. Il faut les aborder en tant qu’œuvres, pas seulement
d’un architecte, mais comme objets d’une société entière. Elles
deviennent des singularités qui posent la question de l’homme dans
l’espace naturel. Il y a monumentalité mais pas glorification, comme
si la grandeur était un rêve condamné à l’Abandon...

Alexandre Jeser © Cascade
En 20x25, on fait
attention à prendre peu d'images en raison du coût de chacune. Comment
savez-vous que vous êtes devant la bonne image, celle qui est à prendre ?
Ce n’est pas moi qui choisis le
paysage. J’ai souvent l’impression que le paysage vient à moi tout seul.
Quand un paysage intéressant s’ouvre ainsi à mon regard, il n’y a pas à
hésiter, il faut le photographier. Quand je suis sur le terrain, il m’arrive
de ne pas faire une seule image pendant une semaine, en général parce que la
lumière n’est pas celle que je recherche. Puis je fais 8 images en quelques
heures. C’est fréquent. Je gaspille malgré tout beaucoup de films, c’est
ruineux...

Alexandre Jeser © Col d'Ornon

Alexandre Jeser © Décharge

Alexandre Jeser © Deux-Alpes
Une question
saugrenue : pourriez-vous faire une bonne photographie dans le bruit ou dans
la foule ? Ou encore : cette distance à l'homme qu'on voit dans vos
photographies témoigne-t-elle d'un engagement esthétique ou des conditions
d'un bien-être nécessaire à la prise de vue ?
La question est très pertinente !
Il m’est déjà arrivé de photographier en pleine foule. Il est vrai qu’il
n’est pas confortable d’être un objet de curiosité avec cet appareil
monstrueux qui soulève questions et réflexions. Mais là n’est pas le
problème.
Mon but est d’évacuer
l’anecdotique de l’image et de centrer l’intérêt sur les structures
en présence. Je ne parlerais pas de distance par rapport à l’homme ;
il n’est question que des interventions de l’homme dans ces
photographies. Il en est de même d’un paysage façonné par l’homme
que d’une œuvre d’art : la présence de l’artiste n’est pas
nécessaire pour apprécier l’œuvre. Ainsi rendus à leur silence, les
espaces peuvent pleinement se révéler à notre regard et raconter
leur triste fable.

Alexandre Jeser © Devoluy

Alexandre Jeser © Hôtel

Alexandre Jeser © Piscine
Avec quel
matériel travaillez-vous aujourd'hui ?
Depuis 10 ans, je travaille
exclusivement avec une chambre Canham 8x10 et des objectifs 240mm Schneider,
un 450mm Nikon, un 600mm Fujinon, plus récemment un 300mm Nikon.
Très récemment, je me
suis équipé d’une chambre 4x5 Chamonix très agréable et très légère.
Mais je préfère la 20x25 et je regrette de ne plus pouvoir la porter
comme avant.

Alexandre Jeser © Puy St-Vincent
Recommanderiez-vous à un jeune photographe la prise de vue à la chambre
20x25 ? Quels conseils lui donneriez-vous ?
Je ne connais pas assez
l’évolution des techniques numériques pour savoir si cela est toujours
valable de travailler en 20x25. C’est un problème de poids plus que de
budget. J’imagine qu’il faut également mettre de gros moyens pour acquérir
un appareil numérique capable de concurrencer une chambre 20x25 (si cela est
possible).
Le contact avec l’outil
est essentiel. Pour ma part, je n’établis aucun vrai contact avec un
appareil numérique. Quand je manipule ma chambre en bois de noyer et
que je regarde le dépoli 20x25, je n’ai aucun doute : quelle
sensualité dans la photographie à la chambre grand-format ! Quitte à
faire le choix de l’argentique, il est int��������ressant de faire les
tirages soi-même avec un agrandisseur. Agrandir un négatif ou une
diapo 20x25 est une expérience forte. Quand on regarde un tirage
argentique réalisé à partir d’un 20x25, il y a un surgissement du
réel. Cela tient au fait qu’il n’y a pas eu rupture dans le
continuum de la lumière. D’un bout à l’autre de la production de
l’image, la lumière est intervenue pour que les choses adviennent et
pour qu’une multitude d’éléments apparaissent.
N’oublions pas que le
corps de la photographie, c’est la lumière. Quand la lumière
n’intervient pas, ce n’est pas de la photographie, mais de
l’imagerie.

Alexandre Jeser © Skate Park

Alexandre Jeser © Super Devoluy

Alexandre Jeser © Tennis
Quels sont vos
projets actuels ?
J’aimerais approfondir la
problématique du paysage naturel (qu’est-ce qu’une représentation de la
nature brute, est-elle possible?) et d’autre part j’ai commencé une série de
“portraits”. Après avoir été liés indissolublement dans mon travail jusqu’à
présent, l’humain et le naturel vont peut-être raconter des histoires
distinctes.

Alexandre Jeser © Vallouise
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modification de cet article : 2009
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