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l'auteur
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Arnaud Thurel : sténopés
Comment êtes-vous venus à la photographie ? C’est une question à laquelle j’ai toujours quelques difficultés à répondre. Je dirais que mon intérêt pour la photographie a débuté vers 24 ans. Alors que je travaillais en Chine, j’ai eu l’occasion de visiter Hong-Kong et comme beaucoup de touristes, j’ai acheté un appareil photo dans Kowloon. A cette époque le numérique arrivait doucement (on était en 1998) mais c’est un réflex Nikon argentique que j’achetai alors. Petit à petit, je me suis renseigné, j’ai énormément lu, des revues techniques pour commencer, et quand j’ai eu l’impression d’avoir lu plusieurs fois les mêmes choses, je me suis ensuite intéressé aux différentes « destinations » que la photographie pouvait chercher à atteindre : le photojournalisme, le documentaire, le sociologique, l’art... avec l’évolution des « marchés », les ressources des photographes changeant, j’ai suivi les trajectoires des collectifs, agences… les mutations actuelles de ce média sont incroyables tellement les moyens de productions des sujets sont liés à une économie toujours en équilibre précaire. En 2005, après plusieurs voyages où la photo avait pris un rôle croissant, j’ai repris contact avec un ancien collègue de lycée et j’ai rejoint l’association photographique qu’il avait créée quelques mois auparavant avec un ami : BOP pour Bricolages Ondulatoires et Particulaires (www.bop-photolab.org). Le collectif a pour but initial de promouvoir la photographie argentique et une certaine approche de la photographie, où le bricolage et le DIY – Do it yourself prend une part importante dans la réalisation des travaux. Les membres de BOP sont presque tous des autodidactes de la photographie, ils apprécient la lenteur des procédés analogues et les manipulations du film photographique ainsi que la cohérence dans la préparation de leurs expositions par opposition au flux continu d’images numériques se déversant sur la toile. Cela a été une révélation, j’avais enfin une structure pour commencer à véritablement « construire » une approche photographique. Je suis maintenant trésorier de l’association BOP.
On retrouve dans mes images des usines, des hôpitaux, des entrepôts, des bâtiments administratifs ; j’ai eu l’occasion de photographier en France et en Italie. Je recherche en particulier des lieux où l’architecture a un poids important sans tomber dans le caractère historique, une forme monumentale, des lieux qui ont été peuplés par des travailleurs, du public, présents en nombre et dont la présence est encore manifeste même lorsque ces lieux sont réduits à l’état de ruine. De fait, les maisons individuelles abandonnées m’intéressent peu car trop petites et trop intimistes. Même chose par exemple pour les châteaux où l’architecture et l’Histoire avec un grand H prend le pas sur tous les éventuels autres éléments visuels. La première partie de ce travail, intitulée Lost Places a été exposée notamment au Copenhagen Photos Festival 2011 lors d’une exposition commune du collectif BOP. Cette série était complètement orientée vers les lieux eux-mêmes, sans aucune présence humaine, hormis des traces... une deuxième série, intitulée Lost Place 2 sera exposée pour la première fois du 7 au 18 février à l’Espace culturel Paul Jargot de la ville de Crolles, près de Grenoble. J’y présente les nouvelles populations que l’on peut rencontrer dans les friches et qui ont toujours accepté de poser (malgré les temps de pose longs !).
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Quelle est votre relation personnelle avec ces lieux abandonnés ? Le début de cette série date de fin 2007, époque à laquelle après des années de voyages réguliers à l’étranger, j’ai dû limiter mes déplacements. Cela m’a vite « perturbé ». Il me manquait quelque chose… Quelques mois après le début de ma
série, j’ai alors lu – peut-être par hasard - un livre :
Tourismes : Lieux communs
(Edition Belin, Rémy Knafou ISBN : 978-2-7011-4892-2) qui décrivait avec
forces détails la notion d’altérité.
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En quoi pensez-vous votre approche des lieux abandonnés différente de celles d'autres photographes ? Les lieux photographiés ici sont caractérisés par un vide augmenté. Structures détruites, objets de la vie courante abandonnés tels des chaises, des bureaux, des pianos, voire des plantes vertes… tous ces éléments sont autant de preuves de ce qui a été mais aussi de ce que ces objets et lieux sont devenus après que les activités humaines normales les ont laissées derrière elles. De tels lieux, également appelés friches industrielles, sont en réalité tout sauf isolés puisque de multiples groupes se les accaparent une fois fermés. On y croise des jeunes, des joueurs de airsoft ou autres paintball, des tagueurs, des SDF, des gardiens… La plupart des photographes qui pratiquent ce qu’on appelle communément l’urbex (pour urban exploration) cherchent à montrer des lieux inattendus. On sent une forme de performance à l’œuvre. Ceux qui recherchent une expression plus documentaire de ces lieux sont plutôt dans une imagerie disons froide, frontale, descriptive. Elle est intéressante mais à mes yeux ne suffit pas à rendre pleinement le ressenti qu’on éprouve en s’y trouvant. Mon approche photographique est différente. Pour moi, il s’agit de retranscrire l’ambiance des lieux. La première série Lost Places visait à montrer au spectateur ces lieux, ce qu’ils devenaient et comment ils le devenaient. Les sentiments ressentis dans de tels lieux disparaissent aussitôt qu’on les a quittés. Le rendu particulier du sténopé, ajouté à des tirages de grands formats très contrastés me semblaient le meilleur moyen de forcer le spectateur à ressentir une forme d’inquiétude. Cette nécessité de « forcer » les sentiments est allée jusqu’à la manière de mettre en scène les images. L’accrochage de cette série consiste en une juxtaposition de 12 tirages de 45cm par 100cm environ, ajustés pour former un rectangle parfait de quatre mètres sur un mètre vingt de haut, un peu comme un mur de briques. C’est donc un mur qu’on observe dans cette série, rappel des murs qui nous séparent de ces lieux. La deuxième série, tout juste terminée, vise à montrer les populations présentes dans ces lieux, elle sera exposée toujours en grand format, mais des images verticales cohabiteront avec des formats horizontaux, dans un agencement plus chaotique.
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Pensez-vous que les lieux abandonnés appellent forcément une forme ou une autre de violence ? La violence en ces lieux est manifeste et présente à plusieurs niveaux : on pense dans un premier temps à tous les aspects sociaux qui ont pu mener à la fermeture des sites, à tous les travailleurs qui pendant des années ont marché dans ces couloirs et qui maintenant ne sont plus là. Que sont-ils devenus ? Le deuxième niveau de violence se trouve dans les dégradations incroyables dont on peut être témoins. Les fenêtres ou portes cassées ne sont rien. On voit souvent des murs entiers écroulés, on se croirait sur des champs de bataille… La rencontre fortuite avec des récupérateurs de matériaux (exemple de l’image de la personne en haut d’une échelle en train de récupérer un mètre de câble pour revendre le cuivre) est un autre témoignage de la violence de notre société. Les rares éléments véritablement positifs doivent être véritablement expliqués pour être compris : par exemple, difficile de se rendre compte de la masse de travail produite par un tagueur lorsqu’il réalise une fresque de plusieurs mètres de long avec des ébauches mûrement réfléchies sorties et étalées sur le sol ou encore de l’aspect ludique du lieu lorsque vous rencontrez un groupe de airsofteurs accoutrés en véritables mercenaires en train de préparer un barbecue au milieu des ruines après une partie endiablée !
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Pourquoi le noir et blanc ? L’usage du noir et blanc a pour but de se concentrer sur les formes présentes. Pas de couleur accrocheuse ici, juste une image en blanc et en noir et d’ailleurs avec peu de gris ! Là encore, c’est le ressenti qui m’intéresse. Les ombres sont très dures, les lumières aussi, on a même quelquefois du mal à bien lire ces images. Le même sujet en couleur n’aurait à mon sens pas eu la même force. Les tags, par exemple, très présents dans les friches, auraient écarté le spectateur de ce que je souhaitais vraiment lui montrer.
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Quel sont à vos yeux les avantages et les inconvénients du sténopé par rapport à ce sujet ? Les avantages par rapport à ce sujet sont nombreux : les déformations et le vignetage important des images sont des éléments qui entrent en résonnance avec les lieux abandonnés : ils accroissent les dégradations réelles vues, donnent une vision décalée, tordue de bâtiments déjà maltraités. Les temps de pose longs, l’impression paresseuse de la pellicule par la lumière sont à mettre en regard de la lente dégradation des lieux photographiés. Le grand angle du sténopé impose une forme de grandiloquence qu’il me semblait nécessaire de retranscrire. Par ailleurs, l’aspect inoffensif de l’appareil est un atout de taille pour prendre en photo des populations qui de prime abord ne vont pas être d’accord. Pour ce qui est des inconvénients, pour moi, il n’y en a qu’un : l’ouverture de f/135 (trou de 0.3mm). Certains lieux ne peuvent pas être photographiés car trop sombre. Il faudrait des temps de pose vraiment trop long, cela m’oblige quelquefois à renoncer à certaines photos qu’un appareil plus standard pourrait faire. Cela dit, je prends souvent des photos quand le temps est gris, maussade. Cela permet de réduire les écarts de contraste entre les intérieurs et les extérieurs dans certaines situations.
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Quels conseils donneriez-vous aux photographes désireux d'essayer le sténopé ? Quand j’ai débuté le sténopé, toute la littérature que j’avais lue auparavant laissait entendre que son usage était des plus rudimentaires, mais je ne suis pas d’accord avec ce point de vue. Techniquement, un sténopé est évidemment très simple, pas de batteries, pas d’électronique, pas de mécanique vraiment sérieuse, des résultats très aléatoires… mais au quotidien, il faut faire tomber de nombreux problèmes pour l’utiliser en toute sérénité ! Les problèmes de réciprocité sur des temps de pose très longs obligent à se créer des tables de corrections d’exposition assez précises (même si maintenant, internet peut aider). Les temps de pose en eux-mêmes rendent les prises de vue longues : si en extérieur une photo peut se faire en moins de 10 secondes, on passe rapidement à plusieurs minutes dès qu’on est en intérieur. Cela implique évidemment pour les sujets humains une certaine patience… En fin de compte, utilisateur moi-même d’une chambre grand format, je trouve de nombreuses similitudes entre ces deux types d’appareils ! D’ailleurs mon sténopé fonctionne avec des pellicules au format 120 et les négatifs produits font 6cm par 12cm. Pour ma part, je conseillerais un appareil le moins cher possible mais qui fonctionne avec une pellicule standard, 24x36 ou 120, peu importe, pour peu qu’au moins, dans un premier temps, le chargement soit simplifié (en argentique bien sûr…). Une cellule à main facilite grandement la mesure d’exposition. Un pied est évidemment indispensable ! Pour le reste les temps d’exposition sont l’affaire de tests pour comprendre comment va réagir la pellicule sélectionnée. |
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voir aussi :
arnaud thurel : la Grande Motte
dernière modification de cet article : 2013
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